Comment ne pas être
parcouru par un irrépressible frisson ? Comment retenir ses larmes ?
L’image de ce grand adolescent qui rit aux éclats. Son
regard brun insouciant… C’est lui ce garçon qui tue ? C’est lui cet
impitoyable extrémiste ? C’est bien lui qui a perpétré ces sept
horribles crimes en moins de dix jours.
On entend sans plus s’émouvoir qu’un homme s’est fait tuer
sans mobile apparent dans la région toulousaine… On n’y pense même plus
quelques secondes plus tard… Puis dans la semaine, encore trois hommes, dans la
même région, sans mobile apparent, des militaires aussi, et on prête un peu
plus l’oreille. Un homme en scooter, un fou certainement, un anti-militariste
peut-être… On s'émeut un peu parce que l’un d’eux allait être bientôt papa, et
qu’un fou lui a ôté ce bonheur. On garde
pour soi une idée, car on entend que sur les trois victimes, deux étaient des musulmans,
un était un noir… On s’attriste un moment et on se dit que ce monde est fou et
terrible. On se dit même qu’on devient parano à voir des actes racistes
partout.
Et puis ce lundi vient. Cette information prise au vol en rentrant de la journée de travail… Ces flash qui ont l’air spéciaux, ces
plateaux télé peuplés de spécialistes, et ces images qui commencent à défiler
en boucle, d’enfants en pleurs, de parents effrayés, de policiers partout,
comme un air de catastrophe sur tous les visages. Comme une excitation
effrayante qui brille dans les regards des journalistes. On sait plus où donner
de la tête sur les plateaux, d’envoyé spécial, en interview de voisins… De
témoins des faits, en psychologues conseils… On bascule avec eux, on rentre
dans la danse de cette ambiance morbide. On veut en savoir plus encore, et
encore, on regarde, on zappe, on écoute. On a peur aussi.
On pense à ce salaud. Un salaud dont on ignore le nom, les
idées, le visage, la vie. Mais c’est un salaud, une bête immonde, qui s’est
attaqué à ces enfants de manière si cruelle et définitive. On est dans le
drame. On pense aux parents, à ses propres enfants qu’on a tout à coup envie
d’enfermer dans leur chambre pour les protéger du salaud… On le hait tous en
chœur… Qui ne l’a pas haï ?
On se surprend à penser que Bordeaux c’est près de Toulouse…
On se surprend à penser qu’il faudrait dire à ses ados de ne pas trop traîner
devant le lycée ou le collège. Puis on se dit que c’est idiot et que la vie, la
notre, continue. Et que celle des familles, elles, sont à jamais démolies.
On pense à cet homme au scooter. On le visualise. Regard
froid sous le casque. On imagine la cicatrice sous le casque. Rien de plus… Ca
ressemble à quoi une tête de monstre ? Ca ressemble à quoi un salaud qui
pointe une arme sur une petite fille et tire de sang froid ?
Et puis on se lève avec les infos et on entend parler encore
du salaud. On comprend qu’il s’est fait prendre ou presque. Et encore les
images en boucle, des appartements, des policiers, des témoins, et encore des
défilés de spécialistes. Mais cette fois-ci, on a un nom, un mobile, des
détails. Mais pas son visage. Alors ont fait son puzzle, un jeune salafiste. On
voit sa longue barbe, on imagine sa djellaba blanche, on a envie que cet homme
soit laid, on le voit laid, on voit la cicatrice comme une trace d’une blessure
de guerre, quelque chose de laid et profond et de mal cicatrisé. On voit son
regard qui effraie, un regard sans pitié, sans humanité, le regard d’un fou
fanatique. On se dit qu’il va bientôt mourir et que c’est la seule issue. On se
dit que le monstre est dans la cage, que c’est sans issue.
Les informations, jusqu’à la nausée, sans une minute de
pause, sauf pour la pub –il faut vivre- les informations jusqu’à la fin, et
encore après.
Analyses, décorticages, décryptages, interventions ridicules de personnes qui l’ont croisé. La voisine en pleurs terrorisée, le jeune étonné presque pote, le père d’une enfant qu’il avait croisée, tout est bon au service du devoir d’informer…
Analyses, décorticages, décryptages, interventions ridicules de personnes qui l’ont croisé. La voisine en pleurs terrorisée, le jeune étonné presque pote, le père d’une enfant qu’il avait croisée, tout est bon au service du devoir d’informer…
Et puis cette image qui surgit. Ce garçon. Presque le même
âge que ses propres enfants. On n’a pas envie de voir ça. Pas CA ! Ce
n’est pas CA un monstre sanguinaire. Ce n’est pas CA un tueur d’enfants
innocents. Ce n’est pas CA un terroriste d’Al Quaida !!! CA ne peut pas
rire et sourire…
On pense à une mère. La mère du monstre. La mère de cet
adolescent qui rit mais qui va devenir un tueur. Elle a du déjà beaucoup
pleurer sur cet enfant indomptable et délinquant. Elle a dû faire la queue dans
les parloirs longtemps, souvent. Elle a dû l’aimer comme elle pouvait. Elle a dû
sentir sa dérive aussi, mais s’empêcher de croire à quel point c’était trop
tard. Elle a dû pleurer de ce fils perdu. Elle aussi est une victime innocente
de plus. Ca devient quoi l’amour d’une mère de monstre ?
Hier le monstre est mort. Il avait 23 ans et se croyait tout
puissant. Il croyait qu’au nom d’un dieu d’une religion on pouvait tuer,
exécuter, et continuer son chemin.
Comme en son temps, Charles IX, se laissa guider par la
haine de son entourage et ordonna le massacre de la Saint-Barthélémy, au nom de
dieu… Et comme depuis que le monde est monde et que ce dieu dont on dit qu’il
n’est qu’amour mène aux pires crimes.
Le monstre est mort. Les enfants, le père, les soldats, sont
morts. Des familles hurlent de douleur. Les envoyés spéciaux ont rangé les
caméras et les micros inquisiteurs. L’œil des journalistes est redevenu morne
et quotidien. La campagne reprend, si tant est qu’elle ne s’était hypocritement
masquée derrière l’évènement. Elle avait pris des airs de compassion, de
sollicitude, de république attaquée, de dignité dans le drame… Elle n’en
reviendra que plus impitoyable. Certains y auront gagné des voix, d’autres en
auront perdu : dommages collatéraux !
On n’oubliera jamais cette semaine je crois. Ni ces enfants
innocents. Ni ce montre adolescent. Ni ce crime impardonnable.
Note très émouvante et qui exprime très bien ce que je ressens aussi
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