vendredi 23 mars 2012

Mort


Comment  ne pas être parcouru par un irrépressible frisson ? Comment retenir ses larmes ?
L’image de ce grand adolescent qui rit aux éclats. Son regard brun insouciant… C’est lui ce garçon qui tue ? C’est lui cet impitoyable extrémiste ? C’est bien lui qui a perpétré ces sept horribles crimes en moins de dix jours.

On entend sans plus s’émouvoir qu’un homme s’est fait tuer sans mobile apparent dans la région toulousaine… On n’y pense même plus quelques secondes plus tard… Puis dans la semaine, encore trois hommes, dans la même région, sans mobile apparent, des militaires aussi, et on prête un peu plus l’oreille. Un homme en scooter, un fou certainement, un anti-militariste peut-être… On s'émeut un peu parce que l’un d’eux allait être bientôt papa, et qu’un fou lui  a ôté ce bonheur. On garde pour soi une idée, car on entend que sur les trois victimes, deux étaient des musulmans, un était un noir… On s’attriste un moment et on se dit que ce monde est fou et terrible. On se dit même qu’on devient parano à voir des actes racistes partout.
Et puis ce lundi vient. Cette information prise au vol en rentrant de la journée de travail… Ces flash qui ont l’air spéciaux, ces plateaux télé peuplés de spécialistes, et ces images qui commencent à défiler en boucle, d’enfants en pleurs, de parents effrayés, de policiers partout, comme un air de catastrophe sur tous les visages. Comme une excitation effrayante qui brille dans les regards des journalistes. On sait plus où donner de la tête sur les plateaux, d’envoyé spécial, en interview de voisins… De témoins des faits, en psychologues conseils… On bascule avec eux, on rentre dans la danse de cette ambiance morbide. On veut en savoir plus encore, et encore, on regarde, on zappe, on écoute. On a peur aussi.
On pense à ce salaud. Un salaud dont on ignore le nom, les idées, le visage, la vie. Mais c’est un salaud, une bête immonde, qui s’est attaqué à ces enfants de manière si cruelle et définitive. On est dans le drame. On pense aux parents, à ses propres enfants qu’on a tout à coup envie d’enfermer dans leur chambre pour les protéger du salaud… On le hait tous en chœur… Qui ne l’a pas haï ?
On se surprend à penser que Bordeaux c’est près de Toulouse… On se surprend à penser qu’il faudrait dire à ses ados de ne pas trop traîner devant le lycée ou le collège. Puis on se dit que c’est idiot et que la vie, la notre, continue. Et que celle des familles, elles, sont à jamais démolies.
On pense à cet homme au scooter. On le visualise. Regard froid sous le casque. On imagine la cicatrice sous le casque. Rien de plus… Ca ressemble à quoi une tête de monstre ? Ca ressemble à quoi un salaud qui pointe une arme sur une petite fille et tire de sang froid ?
Et puis on se lève avec les infos et on entend parler encore du salaud. On comprend qu’il s’est fait prendre ou presque. Et encore les images en boucle, des appartements, des policiers, des témoins, et encore des défilés de spécialistes. Mais cette fois-ci, on a un nom, un mobile, des détails. Mais pas son visage. Alors ont fait son puzzle, un jeune salafiste. On voit sa longue barbe, on imagine sa djellaba blanche, on a envie que cet homme soit laid, on le voit laid, on voit la cicatrice comme une trace d’une blessure de guerre, quelque chose de laid et profond et de mal cicatrisé. On voit son regard qui effraie, un regard sans pitié, sans humanité, le regard d’un fou fanatique. On se dit qu’il va bientôt mourir et que c’est la seule issue. On se dit que le monstre est dans la cage, que c’est sans issue.
Les informations, jusqu’à la nausée, sans une minute de pause, sauf pour la pub –il faut vivre- les informations jusqu’à la fin, et encore après. 
Analyses, décorticages, décryptages, interventions ridicules de personnes qui l’ont croisé. La voisine en pleurs terrorisée, le jeune étonné presque pote, le père d’une enfant qu’il avait croisée, tout est bon au service du devoir d’informer…
Et puis cette image qui surgit. Ce garçon. Presque le même âge que ses propres enfants. On n’a pas envie de voir ça. Pas CA ! Ce n’est pas CA un monstre sanguinaire. Ce n’est pas CA un tueur d’enfants innocents. Ce n’est pas CA un terroriste d’Al Quaida !!! CA ne peut pas rire et sourire…
On pense à une mère. La mère du monstre. La mère de cet adolescent qui rit mais qui va devenir un tueur. Elle a du déjà beaucoup pleurer sur cet enfant indomptable et délinquant. Elle a dû faire la queue dans les parloirs longtemps, souvent. Elle a dû l’aimer comme elle pouvait. Elle a dû sentir sa dérive aussi, mais s’empêcher de croire à quel point c’était trop tard. Elle a dû pleurer de ce fils perdu. Elle aussi est une victime innocente de plus. Ca devient quoi l’amour d’une mère de monstre ?
Hier le monstre est mort. Il avait 23 ans et se croyait tout puissant. Il croyait qu’au nom d’un dieu d’une religion on pouvait tuer, exécuter, et continuer son chemin.
Comme en son temps, Charles IX, se laissa guider par la haine de son entourage et ordonna le massacre de la Saint-Barthélémy, au nom de dieu… Et comme depuis que le monde est monde et que ce dieu dont on dit qu’il n’est qu’amour mène aux pires crimes.
Le monstre est mort. Les enfants, le père, les soldats, sont morts. Des familles hurlent de douleur. Les envoyés spéciaux ont rangé les caméras et les micros inquisiteurs. L’œil des journalistes est redevenu morne et quotidien. La campagne reprend, si tant est qu’elle ne s’était hypocritement masquée derrière l’évènement. Elle avait pris des airs de compassion, de sollicitude, de république attaquée, de dignité dans le drame… Elle n’en reviendra que plus impitoyable. Certains y auront gagné des voix, d’autres en auront perdu : dommages collatéraux !
On n’oubliera jamais cette semaine je crois. Ni ces enfants innocents. Ni ce montre adolescent. Ni ce crime impardonnable.





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