Se taire
longtemps. Garder la douleur. Garder les idées qui traversent le cerveau.
J’ai toujours
été la reine du psychotage.
C’est un peu
une marque de famille. Pierrot de la lune s’en servait à merveille pour
inventer ses textes. Il y avait dedans toutes ses douleurs, tous ses doutes.
Mamamia aussi dans un autre style savait parfaitement jouer à ce jeu-là, elle
en avait fait sa marque de fabrique aussi, mais elle dans le genre
hypocondriaque hyper-anxieuse de la vie et de tout ce qui pouvait arriver quand
on est vivant.
Depuis mai, le
matin de mai que jamais je n’oublierai, j’ai l’impression d’être un peu ko
debout. J’ai l’impression que je n’ai pas retrouvé la totalité de mes esprits.
Ou bien peut-être un morceau de moi est mort à jamais ce jour-là. Je me sens
lestée d’un poids que je porte en moi à tout instant. Je m’autorise moins à
rire. Je m’autorise moins les sorties. Les petits plaisirs ne me tentent plus,
où je me les refuse en me disant que je n’en ai pas besoin. A quoi bon.
C’est long de
refaire surface. Je ne sais pas d’ailleurs si je retrouverai un jour le chemin.
La punition
n’est toujours pas là. C’est long. Quatre mois et le silence toujours. On me
l’a expliqué ici. Il faut du temps à la justice pour faire son travail. Les
jours passent. Chaque soir, je ne suis totalement rassurée que quand j’entends
du bruit dans la chambre voisine de la mienne. J’entends la douche, j’entends
la musique, j’entends sa grosse voix, et je souffle. Parfois, il sort après sa
douche. Je me réveille au milieu de la nuit et je vais ouvrir la porte de sa
chambre pour vérifier qu’il est rentré. Je suis partie une semaine à Paris et
je ne me suis pas sentie légère. J’avais tellement peur de revenir et qu’il ne
soit plus là, tellement peur de ce qui peut arriver si vite.
J’ai réussi
cette semaine à trouver un éducateur qui est venu chez nous. Il m’en a fallu
faire des recherches sur internet, parler autour de moi, passer des appels
téléphoniques pour arriver à parler à quelqu’un qui ne me réponde pas « Il
est majeur, ça ne vous regarde pas ». La semaine précédente, une
convocation des services pénitentiaires était arrivée. Mais pas celle du juge.
Pas encore. Celle d’une assistante sociale. J’ai du lui laisser au moins une
dizaine de message pour qu’enfin elle consente à me rappeler et qu’elle entende
mon désir de la rencontrer. Moi aussi. Parce que cette peine qui ne vient pas
elle n’est pas que celle de mon fils elle est aussi la mienne. C’est ainsi que
je la vis. Elle a d’abord refusé de me rencontrer. Puis j’ai déployé toute
l’énergie qui me reste pour la convaincre de me laisser lui parler. Au bord des
larmes, je parlais et parlais encore. Peut-être a voulu se débarrasser de moi.
Jeudi, j’ai
accompagné mon fils dans ces bureaux des services pénitentiaires. Il a été reçu.
Je suis restée à l’accueil puisqu’on ne m’appelait pas. Il était 9 heures 30 et
les gens défilaient au guichet. Ils déclinaient leur identité et la raison de
leur présence. Pose de bracelet pour cette femme, sortie de peine pour ce grand
jeune homme tatoué dans le cou, sortie de prison pour ce garçon tout fin qui
portait la même sacoche que mon fils, pour un autre je ne sais pas , il parlait
mal le français, mais j’ai entende qu’il parlait de venir avec un bidon
d’essence une autre fois. Ils étaient assis tout près de moi et j’avais la
gorge brûlante de larmes retenues.
La veille
j’avais pleuré toute la journée de travail. Déjà dans le bus mon visage était
inondé de larmes, que j’avais réussi à sécher avant d’arriver. Mais une parole
malheureuse d’un collègue narkéotrafiquant a fait repartir le flot des larmes.
Je n’aime pas étaler mes chagrins et mettre les gens dans cet embarras là. J’ai
préféré prévenir que je m’enfermerai dans mon bureau et que je me travaillerai
saule et sans parler toute la journée. De temps en temps, entre deux réunions,
l’un d’entre eux venait me dire un petit mot, ou me poser ma main sur l’épaule
en disant ça va aller. Mais ça me donnait envie de me remettre à pleurer.
J’avais choisi de passer la journée les mains dans la terre, à tamiser sous
l’eau froide les kilos de cailloux et de graviers dans lesquel parfois se
cachent des graines, des monnaies, des tout petits os d’animaux, des petits
morceaux de métal… Ca m’a bien occupé l’esprit. Et en même temps parfois je
pouvais laisser partir mon esprit dans mes divagations sur ma culpabilité, ma
responsabilité, l’avenir de mon fils, et l’homme qu’il sera quand il sera sorti
de cette histoire.
J’ai parlé
aussi un grand moment avec unes narkéotrafiquante anthropologue qui a installé
un profond et hideux fauteuil en velours vert dans son bureau. Pour une fois ce
n’est pas moi qui joue les psys dans cette boîte. Elle m’a étonnée de son
écoute.
J’ai pu lui
dire ce que je ne disais à personne. A quel point il est insupportable de ne
pas être fier de ses enfants. A quel point on se sent responsable quand ses
propres enfants commettent des horreurs. A quel point je ne sais pas mentir
quand on me demande des nouvelles de mon fils et que je raconte un peu de ce
qui s’est passé, et que la personne face à moi est embarrassée. A quel point
parfois, je sens la panique chez les interlocuteurs qui ont envie de n’avoir
jamais posé la question fatidique « Alors, tes enfants, ça va, ils font
quoi ? ». Et à quel point mon désespoir me paraît parfois déplacé.
J’ai toujours
eu les tripes broyées en pensant aux parents de victimes de crimes, de
violence, à leur douleur et leur désespoir incommensurable. J’ai toujours pensé
à leur envie d’avoir les criminels face à eux pour leur cracher leur haine,
leur envie de les voir souffrir. Je ne suis pas chrétienne et je ne suis pas
certaine que je saurais pardonner.
Il y a quelques
années quand l’actrice a été tuée par le chanteur, j’ai pensé à ses enfants à
elle, à sa mère à son père et à tous ceux qui l’aimaient et à leur douleur
insupportable, au vide irréparable que juste « quelques coups »
avaient pu créer.
Je croise le
chanteur souvent puisqu’il est bordelais. Il vit libre ici, mange au
restaurant, se balade en vélo, et donne ses concerts. L’actrice elle n’a plus
le loisir de tout ça. Ses enfants ses construisent autrement, sans elle. On ne
parle pas d’eux. J’espère qu’ils vont bien. La femme du chanteur elle s’est
pendue. Quand la lutine est arrivée au collège en 4ème, le fils du
chanteur était aussi en 4ème. Il était connu pour être le fils du
chanteur. Il était aussi connu pour ses exclusions nombreuses et ses problèmes
addictifs. Lui et sa petite sœur en 6 ème avaient un lourd poids à porter. Celui
d’un père qui avait purgé sa peine, celui d’une mère qu’ils avaient eux-mêmes
trouvée morte. Et chaque fois que la presse ou la radio reparlaient du chanteur
j’avais mal pour ces deux enfants. Aussi mal que pour ceux de l’actrice.
Ces jours-ci,
on parle de terrorisme et de crime en permanence. On parle de ces jeunes qui
partent pour le jihad.
Je pense à
leurs parents aussi. Eux qui avaient peut-être cru avoir élevé au mieux leurs
enfants. Eux qui les aiment ces enfants. La mère, le père du fou assassin de
ces enfants juifs à Toulouse, quelle torture doit être la vie pour elle. Quel
pardon peut-elle s’autoriser ? Dans quoi s’est elle réfugiée pour
continuer à vivre en aimant ce fils ?
Mon fils n’est
pas un assassin. Il a volé. Il a frappé. Il a blessé. Il aurait suffi de rien,
d’un autre coup peut-être pour que la victime ne s’en sorte pas. Tel n’a pas
été le cas. Mais je ne me pardonne pas ce qui est arrivé même si ce n’est pas
moi l’auteur de ces violences.