vendredi 11 mars 2011

Cot Cot codet !!!!

La première fois que je l‘ai vue, c’était sur une photo. Ken, mon ex, qui me parlait souvent de ses parents, l’avait sortie, tout fier, de son porte-feuille. Je ne m’attendais à rien, mais je ne m’attendais pas à ça. Elle devait avoir dans les 40 ans dans mes calculs. Ken était un beau garçon, avec deux grands yeux marron, de longs cils, un visage régulier. Alors quand il sortit la photo et me la montra, je restai sans voix. Trente ans après j’ai encore l’image en tête comme si elle était sous mes yeux. Ses yeux, clairs, entre le gris et le vert, tout ronds, aux pupilles dilatées, comme ceux d’une poule qui cherche les vers. Une bouche sans lèvres et sans beaucoup de dents non plus, mais grande ouverte. Elle portait un tablier à fleurs en nylon, comme on en trouvait sur les pages de la Redoute, tous aussi laids les uns que les autres. Et puis comme la photo était prise à la fin d’un repas, elle avait dans chaque main une bouteille d’alcool. Plus tard j’allais apprendre que pour elle, une bonne photo de fête de famille, ne pouvait se faire sans étalage au premier plan de toutes les bouteilles consommées au repas. Je restai muette devant cette photo, que dire ??? Je ne voyais pas en cette femme une future belle mère rêvée.


A notre première rencontre le regard de poule était aussi vivant que sur la photo… Même pupille énorme, même inexpressivité, comme un gouffre qui s’enfonce dans le vide du crâne. C’est alors qu’elle me dit un bonjour qui faillit me coller contre la porte de l’entrée, tant la voix était perçante et hurlante. Elle me trouva tout de suite trop maigre et me le dit. C’est certainement pour cette raison qu’elle essaya de me gaver comme une oie pendant tout le repas. Je n’avais jamais autant mangé. Je n’avais jamais vu autant de plats pour un seul repas. Je n’avais jamais goûté le foie gras avec des pruneaux farcis au beurre (une création de la poule trisomique, et elle n’en est pas peu fière !!!), jamais mangé trois viandes pour un seul repas, jamais gouté les fraises marinées à l’eau sucrée pour que tout le jus soit à l’extérieur du fruit et plus à l’intérieur… Et donc ça allait être ça pendant presque vingt ans. Avec la poule il y a deux sortes de cuisines. La cuisson à la graisse de porc ou de canard, et la cuisson à l’eau bouillante. Dans la graisse on fait cuire les viandes, les pommes de terre et les beignets de carnaval. Dans l’eau tout le reste, les haricots verts, les carottes, les poireaux, le riz et les nouilles. Dans l’assiette on pose une viande dégoulinante de gras à coté de carottes ou de chou-fleur gorgés d’eau. De la grande grande cuisine. Top chef tiens toi à carreaux !!!

Un monde d’incompréhension est né entre nous, elle me parlait de ses lessives qui séchaient ou pas, elle voulait savoir si j’utilisais Ariel ou Mir, j’étais juste encore une petite étudiante dans son studio et je ramenais le linge à mamamia tous les week-ends. Je pensais à mes partiels, aux compte-rendus de lectures, à Bourdieu, à la sémantique, et je ne trouvais rien à répondre sur la lessive. Quand nous nous retrouvions seules dans une pièce, la cuisine, en l’occurrence, on entendait les mouches voler, surtout celle qui s’était perdue dans le vide de son cerveau. Parfois, je me trouvais bien prétentieuse et je m’en voulais de ne pas aimer cette femme. Ce qu’elle attendait de son fils, c’était qu’il lui emmène une jeune fille qui lui ferait bien vite quelques petits enfants et l’aiderait à gaver les canards, à faire les pâtés et les conserves de tomates…. Elle me regardait avec désespoir quand je disais que ma mère ne m’avait pas appris à repasser, qu’après la documentation, je pensais m’inscrire en licence de psycho et que je partais de partir en vacances avec son fils. Elle se levait à 4 heures tous les matins, préparait le repas qui attendait jusqu’à midi sur le poêle à mazout, puis elle repassait jusqu’à 7 heures. Elle s’habillait vite en wonderwoman de poulailler. Emmitoufflée dans 10 pulls, un trop beau bonnet avec écharpe non coordonnée qui ne laissaient dépasser que ses yeux de poule et son nez auquel pendouillait toujours une petite goutte. Alors elle hurlait dans la maison « Je vais aux poules !!!!! » Comme ça tout le monde était réveillé et tout le monde savait que si le président de la république débarquait par surprise, elle « était aux poules!!!!! »…

Si je n’ai aucune tendresse pour cette femme c’est qu’elle n’en a eu pour moi que le jour ou j’ai divorcé. Ben voyons….

Elle me considérait comme une bêcheuse que j’étais un peu d’ailleurs, et m’a toujours traitée comme une invitée et non comme une personne de la famille. Souvent je la surprenais jacassant avec son mari, « elle a fait ci, elle a fait ça, elle pourrait ci elle devrait ça… » Elle a du casser des tonnes de sucre sur mon dos.

Elle n’avait qu’une crainte c’est que je me marie enceinte, mais dès que j’ai eu la bague au doigt elle aurait voulu que je lui ponde un petit mâle 9 mois pile après la nuit de noces. Je ne sais pourquoi d’ailleurs, elle a absolument tenu à nous prêter son lit pour cette nuit là. Surement parce qu’elle y avait fait 4 enfants. Mais pour moi ce fut plus long que pour elle et je ne tombais pas enceinte. J’avais 23 ans, et il était temps que je ponde… Elle réclamait tous les mois. Elle a arrêté quand elle a compris que j’étais à tendance stérile, et que son fils n’aurait peut être jamais de fils… Quel malheur, il aime tant les enfants ce pauvre Ken, disait –elle, en me regardant sans compassion… J’étais la fautive. Puis un jour, je suis tombée enceinte. Elle a voulu aussitôt me faire ingurgiter un pot de foie gras, car il fallait que je mange…. Par bonheur ou par malheur je ne me pose plus la question, j’ai perdu le bébé assez rapidement. Le jour où elle l’a appris, elle s’est platée devant moi avec une pile de petits vêtements bleu pale, et elle m’a dit « Qu’est ce que je fais de tout ça moi maintenant ??? ». Etait-elle bête, méchante, méchante parce que bête ???

Elle a accueilli ses deux-premiers petits-enfants, joyeusement dirons-nous. Joyeusement résignée. Puisque cette femme ne pouvait pas donner d’enfant à son fils, il fallait bien aimer ces deux enfants. Je n’avais jamais entendu l’expression mère nourricière avant que la gazelle arrive. C’est ainsi qu’on m’appelait là-bas. Quand j’ai annoncé que nous ferions un baptême républicain pour notre fille, j’ai cru que j’allais être fusillée sur le champ. On m’a parlé d’enfants qui mourraient comme des chiens. Je n’ai pas cherché à comprendre.

Je me sentais mal dans cette famille, où tout le monde faisait un bruit infernal en mangeant, rotait après le repas, allait aux toilettes et laissait la porte ouverte, mangeait les os du poulet, et des tas d’autres manières que je n’avais jamais connue.

Quand je suis, à la surprise générale tombée enceinte de la lutine, j’ai entendu dire pas par la poule mais par son mari, « j’espère que ce sera un garçon car lui ce sera mon vrai petit-fils ». J’ai cru que j’allais lui casser la figure. J’ai juste dit que « non ça il n’en serait jamais sûr, car j’étais bien seule à savoir qui était le père. Et qu’un mot de ce style en plus, il ne verrait plus ni ses petits-enfants, ni son fils… ».

Et quelques moi plus tard, quand la lutine est arrivée, un soir de Noel, la poule est venue vers moi, et elle m’a dit « Viens avec nous, maintenant tu es une femme, tu sais ce que c’est ». En effet, je crois qu’avant que j’ai accouché elle me considérait comme un homme, et d’ailleurs à table j’étais placée avec eux.

Et le jour où mamamia est morte, elle est venue faire une visite, et quand elle l’a vue sur son lit, elle s’est jetée sur elle et l’a embrassée goulument en lui serrant le visage et disant « La pauvre elle était si gentille !!! Sa fille lui a dit de se calmer, mais elle continuait à couvrir mamamia de baisers baveux. Il y a eu comme un gros malaise.

J’ai toujours eu l’impression d’entrer dans une scène des Deschiens quand je rentrais chez la poule. Je ne regrette pas du tout de ne plus la voir. Elle est, je crois une bonne grand-mère avec mes enfants, qu’elle aime « comme les siens »… Elle doit parfois leur dire d’énormes conneries, et je ne suis plus là pour corriger. Elle ne sait pas dire le prénom de la lutine qu’elle prononce bizarrement. Il paraît qu’elle s’entend bien avec Barbie, qui doit avoir à peu près le même QI qu’elle, qui sait faire la lessive, les enfants, et certainement des tas d’autres choses merveilleusement passionnantes.

L’une des premières pensées que j’ai eue quand nous avons divorcé c’est que la poule ne serait plus ma belle-mère et que je ne la verrai plus. J’étais débarrassée, d’elle aussi.

6 commentaires:

  1. Vous êtes bien médisante avec votre ex belle mère je trouve !!! Je dis cela, mais moi je ne fréquente plus mes beaux-parents depuis un bon nombre d'années et ils ne me manquent absolument pas, bien au contraire. Ils savent tout à fait pourquoi car je les ai un jour "convoqués" chez moi pour leur dire ce que j'avais sur le cœur et le fond de ma pensée ! Du coup, nous ne pouvions plus trop nous voir -à comprendre au sens propre et au sens figuré !!!- à tel point que lorsque l'on se croise dans la rue on ne se dit même plus bonjour ! Mais la vie est belle (et encore plus belle depuis que je ne les fréquente plus !) car je vis toujours avec leur fils que j'ai épousé il y a plus de 30 ans.
    Une anonyme qui souhaite le rester.

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  2. Je ne serai jamais aussi médisante avec elle qu'elle l'a été avec moi Les relations avec les beaux-parents c'est souvent l'affrontement de deux mondes d'incompréhension !

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  3. Ah OK. Car moi mes beaux-parents m'adoraient et étaient plutôt du style à m'encenser (ce qui faisait d'ailleurs un peu faux parfois ; je n'en demandais pas tant !) mais je me suis aperçue au bout d'un temps que c'était pour des intérêts personnels et que j'étais utilisée. J'ai supporté un moment avant de mettre le "oh là" et j'ai dit "Basta" !
    L'anonyme qui souhaite le rester.

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  4. Eh bien, il y a des "poules" qu'on préférerait au "pot"! Votre description la rend très vivante, cette femme, on aimerait presque la voir, juste pour se faire une idée...

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  5. Elle ressemble tellement à l'illustration que c'est vomme si...

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  6. Je comprends le ressentiment. Cette femme a l'air absolument GE-NIAL...
    Cependant le dire ne te mets pas en valeur :( Mais en lisant tout, on se dit qu'aimer cette femme ça tiendrait du divin.

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