samedi 21 juin 2014

Acte posé, acte manqué


Il y a des blogs dans lesquels on nage dans le bonheur. Le soleil brille et il est beau la pluie qui mouille fait du bien, l’ami Ricoré passe tous les matins pour servir la confiture de pétales de fleurs à une famille belle, qui s’aime et qui attend avec impatience le premier juillet pour s’envoler loin de la ville et vivre un mois pieds nus là où le soleil est encore plus beau. Je ne m’en plains pas, j’en ai dans ma liste, et j’y vais souvent pour me dire que la vie ça peut être ça. Bon je ne suis pas naïve, et je sais qu’on ne nous dit certainement pas tout, et que tout le  monde a ses merdes et que tout le monde n’a pas envie d’en faire étalage. C’est du blog joli qui positive, qui pète la forme et ça donne de le soutire.
Tout ça pour dire qu’ici, ce n’est pas tout à fait ça.  Je suis venue le mois dernier pour mettre des mots sur ce cataclysme qui a déboulé rue de la Belle Rose le 27 mai. Il me fallait écrire. Même si personne ne lit, il me fallait exprimer ce tourment. J’avais écrit plus tôt ce texte sur mon Facebook, pour n’avoir pas à répondre aux questions, aux appels téléphoniques. Ecrire pour n ‘avoir pas à dire. Je préférais. J’ai reçu des messages tellement touchants que j’en ai encore plus pleuré.
Un mois où presque a passé. Lundi, Sam passera devant le juge d’application des peines, maintenant je dis JAP.
Mère de coupable c’est aussi ça, c’est coupable un peu.
C’est se confronter d’abord au tribunal, aux lois, et au jugement officiel. Mais ensuite c’est devoir faire face au tribunal populaire. Au jugement de son voisin, de ses proches, du commerçant du coin ou d’inconnus.
C’est aussi puisque la loi en a décidé ainsi, de trouver face à un jeune homme auquel on a donné un an de prison ferme, mais auquel on n’a rien expliqué de plus que ce qui a été dit au procés. Un jeune homme qui n’a même pas compris qu’un an ferme sans mandat de dépôt c’était pas de prison. Un jeune homme qui sort du box des accusés hébété après sa garde à vue, et qui croit qu’il va partir en prison. Condamné mais libre. Puni mais libre. Juste  un petit papier lui signifiant la prison ferme et au dos les aménagements de peine. Et un rendez-vous un mois plus tard.
Nous y serons lundi.
Bracelet électronique, prison le soir et le week-end, et six autres possibilités d’aménagement.
Finalement au sortir du jugement, j’ai mis deux jours à pouvoir parler calmement à mon fils. Trop de colère, trop de révoltes n’auraient servi à rien. Puis nous avons parlé. J’ai réalisé que je serai la seule pendant un mois à devoir expliquer, faire prendre conscience, et surtout la seule à devoir gérer un fils à la dérive. La seule à pouvoir répondre à ses questions. La seule qui pendant ce mois-là devrais éviter tout risque dérapage.
Expliquer « tu es libre, personne ne peut t’empêcher de sortir après le boulot, mais si tu le fais sache que rien aucune entorse ne sera pardonnée. Rien. La prison est au bout de la moindre erreur. »
Je ne suis pas du genre à anticiper sur le malheur.  Nous saurons lundi quelle est la peine. Nous n’aurons pas le choix. Il faudra faire avec. Il sera bien temps de comprendre et de nous adapter à ce qu’elle impliquera.
Le destin s’acharne, le destin nous aime ou pas. Je ne sais pas.
Le 9 juin, était un dimanche un peu trop chaud. La lutine voulait se baigner. Je l’ai amenée chez sa Juliette copine. Il faisait 40 ° dans la voiture. Quand je suis rentrée rue de la Belle Rose, je rêvais d’un thé glacé. J’allais en préparer pour les deux jours caniculaires qui s’annonçaient. J’avais acheté un mélange chez Kusmi Tea que je n’avais pas encore eu le temps de me poser pour déguster. Là c’était le moment où jamais.
J’ai rempli ma bouilloire à deux litres. J’ai lavé le seul pichet qui puisse contenir les deux litres de thé. Un beau pichet en verre offert pour mon mariage il y a trente ans. Un rescapé. Du beau gros verre solide qui avait accueilli des cafés frappés, des punchs, et d’autres thés glacés déjà. Il était posé sur le bloc central de la cuisine et moi face à lui, je regardais les volutes du thé qui se diffusaient. Un petit spectacle comme je les aime dans le calme de cette fin de dimanche. Ca a fait bang ou bing je sais plus. En tout cas ça a fait beaucoup de bruit quand le pichet de verre a explosé. Et ça a fait mal. Très mal. Sur moi. Le pied, la jambe la main mais surtout le ventre. Je ne savais plus comment garder les yeux ouverts, ne pas hurler, ne pas m’évanouir, mais surtout comment enlever cette douleur. J’ai enlevé tous mes vêtements aussitôt. Et dans me soucier du verre partout j’ai couru dans la salle de bains. Sous la douche froide en entier. Pour ne pas crier. Seule chez moi. Avec cette folle douleur. Qui ne passait pas. Je me disais que ça allait passer, que même si je devais attendre une heure ça allait passer.
Le ventre et la cuisse étaient les plus atteints, très rouges avec même de petites cloques par-ci par-là. J’ai laissé couler l’eau trois heures. Dès que je sortais de l’eau, la douleur était insupportable. J’ai dormi tout de même. Je ne sais pas comment. SOS médecins est venu ? Brûlure au troisième degré sur le ventre et la cuisse.
Depuis une infirmière vient tous les jours me refaire mes pansements. Le ventre a tout a fait cicatrisé. Aujourd’hui on n’a rien mis dessus.
La cuisse est plus longue à guérir, il faudra peut-être une greffe. Tous les jours on enlève un peu de tissu mort. Les douleurs des brûlures ce n’est pas de la gnognotte. Il faudra encore de longues semaines pour commencer la cicatrisation de zone la plus atteinte.
On appelle peut-être ça un acte manqué. Je voulais pouvoir surveiller mon fils. Je m’y suis forcée. Le destin m’y a contrainte.
Un psy ferait une belle analyse de toute cette histoire.
Le temps est parfois long depuis mon canapé jaune.
Je bois du thé glacé que je fais rafraichir dans un pichet en inox.
Je colorie, je lis, je regarde des films idiots, je joue à candy crush…
…. et je lis des blogs heureux.




10 commentaires:

  1. Le silence du blog était préférable finalement...

    Peut-être que lundi il y en aura des explications, je suppose que le tribunal n'était pas vraiment le lieu approprié.
    Je ne crois pas que tu sois responsable (et de la part d'une mère célibataire qui se sent sans arrêt coupable...), même si le sort ne te fait pas de cadeau en ajoutant de graves blessures physiques au choc psychologique.
    Ton fils est aimé, cela n'a jamais fait aucun doute. Maintenant, en effet, il est majeur, c'est à lui de demander et de trouver l'aide nécessaire - et il sait pouvoir toujours compter sur sa mère, ce n'est pas rien.
    Si c'était le mien, peut-être que ce commentaire m'irriterait, je ne sais pas, c'est difficile à imaginer, mais franchement, sincèrement, je pense que l'épreuve du procès et de la condamnation (avec ou sans explications) peuvent l'amener à prendre les bonnes décisions. Surtout qu'il n'est pas seul.
    Et maintenant que j'ai commencé à me mêler de ce qui ne me regarde en rien, autant poursuivre. Peut-être, peut-être que quand la peine se sera un peu estompée, tu pourrais aussi lui dire que tu lui fais confiance, que non, tu ne veux pas le surveiller mais l'épauler, aussi longtemps qu'il le faudra.

    Je te souhaite bien des mots paisibles et des blogs heureux, bien du courage pour ta convalescence (une bouteille qui explose pour un liquide trop chaud, j'ai connu aussi, heureusement avec beaucoup moins de dégâts), et bien du courage aussi à ton fils pour se pardonner et remonter la pente.

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  2. Punaise ! C'est dingue comme la vie parfois décide d'être une truie ! Et sans demi-mesure ! Je ne lis pas les blogs à l'eau de rose, si je veux lire une histoire inventée j'achète un "Arlequin"... J'aime les blogs où ça craque, ça pue, ça hurle, ça se révolte. Je commente rarement mais je te lis depuis des années. Je te souhaite beaucoup de courage avec ton fils. Je suis passée par mal de merdes avec le mien, il a presque 30 ans et je le retrouve, ou plutôt je le découvre tel que j'aurais voulu qu'il fut... Il s'est bousillé la vie pendant 12 ans... J'espère que le tien mettra moins longtemps à comprendre que "temps perdu ne se rattrape jamais". Je t'embrasse

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  3. Je viens de lire votre commentaire chez Pensées by Caro et je me dis que vous avez peut-être écrit de nouveau.
    Oui et du lourd. Je ne peux pas passer sans exprimer ma sympathie pour vous tous, lui, vous, ses soeurs, la victime, ceux qui sont touchés d'une façon ou d'une autre. Nul ne sait ce qui en sortira, je souhaite bien sûr que ce soit du bon, du meilleur pour chacun. Un malheur (je ne sais pas quel mot utiliser) peut avoir des répercussions inattendues et pousser Samuel à réfléchir, à revoir, à ré-envisager sa vie.
    J'imagine qu'il est bien difficile de faire confiance après un coup comme celui-là mais peut-être il sera le déclencheur de meilleures relations entre vous. Je lis votre présence, votre soutien -sans concession ni excuse- malgré tout et j'admire .
    Prenez soin de vous et continuez d'être vous-même. Je suppose que vous êtes entourée de personnes compréhensives avec qui vous pouvez parler de ce qui vous passe par la tête : incompréhension, refus, amour, déception...
    Je vous embrasse.

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  4. Merci pour ces mots qui m'émeuvent. Merci vraiment

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  5. Comment s'est passé le rendez-vous ac le JAP ? J'espère que ce juge a expliqué les choses ne l'ayant pas été lors du jugement.
    Je pense que votre fils a besoin qu'on lui parle de manière claire ce qui pourrait l'aider à faire le clair en lui : Qu'est-ce qu'il veut ? Qu'est-ce qui est important ? A quoi croit-il ? Qui aime-t-il ? De qui est-il aimé ? Questions auxquelles il est bien difficile de répondre d'autant plus quand on est jeune, qu'on a du mal à se situer, qu'on est un peu perdu, pas toujours bien dans sa peau...
    Je vous souhaite des jours plus sereins et espère que vous ne souffrez plus trop de vos brulures.

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  6. Malheureusement ce matin à notre arrivée au tribunal un grève des greffiers a provoqué l'annulation de tous les rendez-vous. Nous devrons revenir vendredi pour un nouveau rendez-vous... C'est donc un stress qui va durer un peu plus longtemps que prévu.Mon fils commence à accepter l'idée de voir quelqu'un qui l'aidera en professionnel dans sa prise de conscience. Je suis là pour lui. Pas toujours facile. Lr dialogue tourne souvent au monologue...

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  7. Je pense à vous et vous soutiens dans votre présence à votre fils et vos filles car, lorsqu'un est touché, la famille entière l'est. C'est difficile pour vous, mère de coupable, dites-vous, soeur de coupable ne doit pas être évident non plus. Même si vous êtes très atteinte, parfois découragée, vous semblez avoir des ressources -ne serait-ce que l'écriture- vous aidant à faire face, ce qui n'est peut-être pas le cas de jeunes en construction.
    L'attente n'est pas facile non plus, le rendez-vous d'hier remis à vendredi et puis la vie continue même si, en ce moment, cette histoire doit occuper bcp de place. Je pense qu'il ne faut pas la lui laisser toute, votre vie, celle de Sam et de ses soeurs ne se réduit pas à ça.
    Bonne journée.

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  8. Et moi qui pensais que vous n'écriviez plus car tout allait bien... Je suis très triste pour vous et vous souhaite beaucoup de courage pour affronter ces nouvelles épreuves.

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  9. Avez-vous vu le JAP hier ? Comment ça s'est passé ? Comment allez-vous ? Et Samuel ? Vos filles ?
    Je pense à vous tous et vous adresse mes pensées d'affection, d'empathie.

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    1. Oui nous avons vu le juge vendredi, enfin quand je dis nous c'est Sam. Ni son père ni moi n'avons eu l'autorisation de venir avec lu. Aucune avancée. Le juge décidé de reporter l'aménagement à septembre ou octobre. EN attendant ??? Rien. Il recevra bientôt un dossier à remplir et sera fixé donc en fin d'année. Je ne comprends pas cette longueur alors que le jugement est déjà prononcé. Je finis par comprendre qu'il y ait autant de récidives; Combien de choses peuvent elle arriver entre le jugement en comparution immédiate donc le plus rapidement possible le 28 mai et son application prenant effet 5 mois plus tard. Je ne sais mêm pas à quel régime il est astreint en attendant et même pas si on lui en a parlé. Il est resté même pas un quart d'heure dans le bureau de la juge.
      Mes filles vivent la chose chacune à sa manière, la gazelle dit que ça devait arriver, la lutine compatit et cherche à communiquer autant qu'lle le peut. Sam lui est déstabilisé par cette punition qui n'en est pas une. Quant à moi, je suis là. Après la grave brûlure me voila clouée sur place par une angine avec streptocoque et encore arrétée pour la semaine. Mon corps et mon destin ont décidé de me forcer à me reposer. Merci pour vos mots

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