samedi 26 janvier 2013

Une histoire de rien du tout


Je fais parfois toute une histoire avec rien. Et je le prouve.
Et là c’est vraiment avec rien. Je monte un roman, un drame, en pas plus de trois minutes. Ca occupe mon esprit. Et je le prouve.
Hier. Treize heures. Montparnasse. Rue du départ. Arrivée la veille pour éviter de partir le matin à 5 heures. 3 heures de réunion chez les narkeotrafiquants. Retour à 16 heures. J’ai 3 heures à tuer avant le départ et mon sac à dos est trop lourd pour que je le traîne dans le métro, pour aller voir une expo. Je décide d’aller me poser dans une brasserie, de manger un petit truc chaud, et de bouquiner avant d’aller faire un petit tour au Monop’. En plus, j’ai acheté un bouquin en partant de Bordeaux et j’ai envie de m’y plonger.
C’est un plaisir que je ne me refuse jamais. Passer un moment seule dans un café ou un restau, manger, en regardant autour de moi et en bouquinant. Et surtout regarder, mater, observer, écouter.
Hier. Treize heures. Montparnasse. Rue du départ. Tous les éléments sont en place pour moi. J’ai commandé mon croque salade avec une eau pétillante. J’ai pris la table contre la vitrine, à côté du radiateur, dans un coin. Je mange calmement au milieu du brouhaha. Les  tables sont toutes occupées ou pour la plupart par des gens qui bossent à la Tour Montparnasse. Je le comprends aux conversations. Typiques des conversations entre collègues de bureau. Ca parle chef, note de service, on cite Leduc, qui fait chier tout le monde. On cite Sarouin qui n’est plus au service territorial, et celle qui a pris un chocolat chaud n’était même pas au courant… Et aussi, Germignon qui a mauvaise tête, parce qu’il bosse trop même les week-ends et qu’il ne va pas tenir. Ca sent la bonne ambiance des collègues qui se bouffent la gueule….
Mon œil va voir plus loin, dehors, les passants, il fait  froid tout le monde marche vite.
Rue du départ. Juste à l’angle. Un homme seul. Un petit homme appuyé sur deux cannes. Son dos calé contre une armoire de transformateur. Mon regard s’arrête. Mon cerveau s’emballe. La machine à raconter des histoire démarre. En fait, il m’inquiète un peu. Il est immobile. Son teint est blême. Un homme seul, à un coin de rue, immobile, debout. On pense à un SDF. Mais il n’a rien d’un mendiant. Il est propre, ses vêtements sont plutôt neufs. Il est bien rasé, cheveux courts. Ou alors il n’est pas à la rue depuis longtemps. Les hypothèses commencent. Je rejette l’idée SDF. Alors pourquoi reste-t il immobile ? Il pourrait être immobile parce qu’il a un malaise. Il a peut-être mal au dos et ne peut plus bouger. Ou alors il a une crise cardiaque. Il faut que je surveille au cas ou pour appeler les secours. En tout cas personne ne semble s’inquiéter dans la rue. Je suis bien la seule à surveiller la santé de cette homme. J’ai même envie d dire aux passant, mais putain aidez-le !!! Une autre idée me vient. C’est un homme qui avec ses deux cannes, peu à peine marcher. Il doit habiter dans le quartier. Juste l’immeuble en face peut-être et comme il faut qu’il se force à bouger, il doit descendre de chez lui tous les jours pour marcher un peu. Sauf que là il ne marche pas du tout donc ça ne colle pas. Quoique, le temps que je pique ma fourchette dans mon croque et que je boive une gorgée, il a démarré. Ca faisait bien un quart d’heure qu’il ne bougeait pas. Le voila qui tout doucement s’en va vers le carrefour. Mais au bout de 4, 5 pas il stoppe, fait demi-tour, et retourne vers le transfo. Et reprend la position initiale. C’est peut-être un homme qui n’a plus toute sa tête, ou qui a Alzheimer et est perdu. C’est vrai que son regard est lointain, perdu, ne se fixe sur personne. Cinq minutes de pause, immobile. Nouveau départ, même direction vers le carrefour, trois quatre pas de plus et demi-tour et retour à la case départ. Je dégage l’idée du malaise. Ca ressemble plus à un exercice de rééducation, à une promenade pour convalescent. Je suis moins inquiète mais tout de même très intriguée. Quoique je n’ai pas écarté l’Alzheimer. Et, là il faut que je surveille. D’autant plus que le manège continue. Aller-retour, aller-retour… Il a, un instant trouvé refuge juste contre la vitre du coin ou je mange. Puis il est reparti au point de départ. Encore de nombreuses minutes. Il souffle beaucoup et il semble quand même avoir mal. Je veille toujours en vue d’un éventuel malaise.
Dans mon esprit le vent de la révolte gronde. Je pars dans mes réflexions sur l’indifférence, sur l’anonymat et le chacun pour soi. Je me dis que je suis seule à m’inquiéter pour cet homme, que s’il tombe personne n’aura remarqué ce qui s’est passé avant. Mais moi j’aurai tout vu et je pourrai raconter !!!
C’est alors que l’homme quitte son transfo doucement en grimaçant. Et à ma grande surprise, moi qui dans mes divagations avais pensé qu’il restait dehors peut-être parce qu’il ne pouvait pas se payer un café, je le vois entrer dans le café. La supposition du pauvre type sans le sous, disparaît elle aussi. Tant mieux. Il s’assied, et passe une commande. Un expresso. Bon, ça va, il peut parler clairement. Et le voilà qui sort un téléphone portable et appelle quelqu’un en souriant. Finalement c’était juste un homme qui était dehors et a mis longtemps à entrer boire un café. Un homme normal mais un peu lent, un peu handicapé. Et tout à coup tout redevient normal pour cet inconnu.
Une femme, jolie, jeune, grande et mince, jupe en jean courte et collants en laine, entre dans le café. Il sourit. Elle l’embrasse. Il s’appelle Michel. Il finit son café et ils y vont juste après, dit-il. Je ne sais pas où… Lui ce soir il ira rejoindre Patrick et Catherine à dans les locaux de Levallois-Perret.
Il paie. Ils se lèvent. Ils partent. Très lentement. Je les regarde s’éloigner.
Voilà. Un homme attendait debout dehors. Il a attendu longtemps. Simplement. Il ne sait pas que pendant une heure il a été le héros d’un roman dramatique, un homme perdu ou en danger de mort.

2 commentaires:

  1. Génial. J'ai dévoré ce billet.
    N'empêche, ça reste mystérieux ces aller-retour de quelques pas…

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  2. Gourmande !!!! J'ai bien aimé faire ce billet, ça me change et me distrait de mes emmerdes.
    On va dire qu'il faisait les cent pas en attendant...

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