dimanche 20 novembre 2011

La suite, très longue !




A la demande générale de Marie, j’y plonge pour la suite.
En fait, comme souvent dans mes posts, une soudaine crise de « digressionite » fulgurante m’a saisie en pleine écriture hier.
Ce que j’ai raconté n’était pas ce que je voulais raconter. Ceci dit je me recentre sur mon sujet.
La réunion parents professeurs de la lutine. Elle a changé de collège à la dernière rentrée. La voila donc en troisième, quittant son collège de la campagne tout neuf avec des profs tout neufs aussi pour la plupart. Le nouveau collège est juste à côté de chez moi, il est tout neuf aussi, inauguré en septembre. Les profs en revanche eux ne sont pas super tout neufs.
Elle passe donc d’un collège calme, avec des enfants du cru, qui vivent dans des maisons avec jardin, avec des papas et des mamans en couple pour la plupart, à un collège d’un quartier populaire, avec des enfants venus de Bulgarie, d’Afrique noire ou du Magrheb, qui vivent souvent en cité ou en vieil appart petit pour famille nombreuse, avec des parents séparés, inconnus, chômeurs, sans papiers peut-être. Il y a même le fils de B.C., le chanteur de Noir D., pauvre enfant qui semble très très perdu. On le comprend.
La lutine s’est vite adaptée. Ses amies anciennes lui manquent, mais elle semble heureuse là aussi.
Donc jeudi soir, la grand messe trimestrielle se tenait au collège.
J’avais eu un petit tableau préalable dressé par la lutine. Prof de maths, trop beau tu vas craquer, prof de français m’a prise en grippe, prof d’anglais trop space, prof de physique te plairait sauf qu’il transpire beaucoup et a de très gros verres de lunettes, prof d’histoire très intéressante mais part à la retraite en fin de ce trimestre, prof d’arts plastiques pourrait être ta copine, elle est trop sympa, mais t’as pas rendez-vous.
Me voici donc briefée.
17 h 30 prof d’espagnol.
Femme avec voix d’homme pas très avenante au premier abord.
« Oihana, est une enfant bizarre ! »
Ca commence bien. Je n’aime pas le ton de ce bizarre. Elle se reprend en disant que ce n’est pas grave d’être bizarre. En fait, elle ne me parle pas,, je crois que c’est une réunion prof élève mais pas parents profs. Elle demande à la lutine comment elle travaille ses cours. La lutine lui répond qu’elle fait des fiches. Je me permets d’intervenir pour dire que la lutine suit le conseil de sa cousine qui fait hypokhâgne et qui lui a conseillé cet été de travailler en faisant des fiches. Réponse de la prof : « Je me moque bien de la cousine qui fait HypoK, ce qui m’intéresse c’est Oihana »
Je sens qu’on va s’aimer. Je laisse parler, je tente des questions pour savoir comment je peux aider la lutine à apprendre les cours. En gros, la réponse est que je n’ai pas à aider la lutine. J’ose tenter une autre question : « Et est-ce que… » Là, je suis coupée dans mon élan, « S’il vous plait madame je termine ! » En gros, ferme là, c’est moi la prof. Prochaine réunion, si elle se comporte comme ça, on va se pourrir toutes les deux.
Pour me détendre, je passe au prof de musique. Un petit mec cool, avec qui on discute de plein de trucs, instruments de musique, théâtre, Afrique et goûts de la lutine pour les arts en général.
Prof de techno, très souriant, à l’air de beaucoup aimer la lutine même si elle bavarde trop, et n’étudie pas ses leçons. Il dit qu’elle devait être excellente, si elle écoutait un peu mieux les consignes.
Prof d’histoire, regrette que la lutine soit aussi incorrigiblement bavarde, et perde des points en ne rédigeant pas et en faisant des fautes à tous les mots.
Je suis ensuite guidée vers la salle 219. Prof principal, prof de maths. Ze Bogosse. Surfer bronzage permanent et œil doré. Ouf, la lutine n’avait pas tort. Il va falloir que je me concentre sur autre chose que sur ses yeux. En plus il est souriant. Je comprends pourquoi la moyenne de la lutine est passée de 1,5 l’an dernier à 10 cette année. Quelle merdeuse. Je l’écoute expliquant à la lutine, qu’elle parle trop, qu’elle perd toutes ses capacités par manque de concentration, manque d’écoute. Elle ne pourra pas aller au lycée si elle continue comme ça. Ca me fait râler que cette enfant intelligente n’ait pas encre compris que sans travail rien n’est possible. Elle va peut-être tout gâcher. Je suis d’accord avec le prof même si je trouve son ton un peu condescendant avec moi. Il m’explique ce que sont les personnes qui font des études, que le bac c’est comme ci ou comme ça, que les maths en seconde… C’est bon mec, y’a pas que les profs qui sont allés en fac. Je parle anglais, espagnol, j’ai fait des maths,  des stats, j’ai le bac et plus si tu veux savoir, alors descends d’une marche steuplait. Bon il est sympa avec la lutine, c’est le principal et tant pis pour mon ego.
A moitié réunion, j’ai compris que si on notait la sympathie, et la popularité, la lutine aurait 20 sur 20. On l’aime beaucoup on la trouve vivante et amusante mais pénible pour cause de pipelettage incessant.
Mais le gros morceau c’est la prof d’anglais. Là ça fait peur, que dire ça fait de la peine, ça inquiète, ça sidère, quel mot est le plus approprié pour décrire la sensation éprouvée. Depuis quelques jours, la lutine me dit que sa prof d’anglais leur dit qu’elle est «  expression en anglais que j’ai du mal à comprendre ». Je lui ai fait épeler le mot et j’ai éprouvé quelque inquiétude quand j’ai compris que ça parlait de mind. Ca sentait le trouble psy à plein nez cette histoire. Confirmation dans le couloir, par une copine de la lutine. La prof raconte à ses élèves que quand elle rentre chez elle, elle prend une clef sur son trousseau au hasard. Si c’est la clef de sa maison, c’est qu’il fallait qu’elle rentre chez elle, sinon c’est mauvais signe. Elle fait la même chose pour son casier au collège.  Nous entrons dans la salle 202. La prof est une dame d’une bonne cinquantaine, mais habillée toute en pois et rayures roses, fushias, violets, sa jambe tremble, ses mains tremblent, et quand je lui serre la main j’ai l’impression de m’enfoncer dans un plat de purée. Floc ! Regard perdu, voire vitreux des personnes qui se nourrissent de cocktails de médicaments. Je me demande si la lutine n’a pas mal compris et si le mot n’était pas « boarder line ». Elle commence par demander à la lutine de l’excuser. Je ne sais pas pourquoi. Elle lui dit deux fois « Je voudrais que tu m’excuses. De ne pas être la prof que tu avais l’an dernier ». Le cas est lourd semble-t-il. Je lui demande de ne pas s’excuser, mais de me dire ce qui lui fait présenter ses excuses. On part dans la consultation psy. Je lui explique que la lutine, a eu la même prof en 6eme et 5eme, qu’elle a beaucoup aimée. Et que l’an dernier son prof était un anglais qui ne parlait jamais français en cours et faisait principalement de la conversation. La lutine étant en demande permanente de conversation anglaise elle s’est éclatée. Mais j’explique que quand on est élève, on n’a pas toujours les professeurs que l’on attendait et que c’est ça la vie d’élève. Il faut s’adapter. La prof me dit qu’elle en troisième elle choisit de focaliser sur la grammaire. Elle ne voudrait pas que ses élèves entrent en seconde et qu’on dise d’elle que Mme L, ne leur a pas appris la grammaire anglaise. On sent une peur et une souffrance réelles dans cette idée. Elle en a les larmes aux yeux.  Je demande encore comment je peux aider la lutine, mais j’avoue n’avoir rien compris à la réponse.  Cette dame a un sourire désespéré. Elle semble très émue que je lui dise que la lutine veut lire des livres en anglais et qu’elle a vue Orgueil et préjugés au moins vingt fois. Elle lui promet de lui porter la VO lundi. C’est terrible ce désespoir. J’ai bien peur que ce soit celui de beaucoup de profs. Que dire que faire ?
Suit le prof de physique qui me dit que la lutine est un vrai papillon, très joli et très sympa. Le prof de physique de l’an dernier m’avait tenu à peu près le même langage. Elle a de bonnes notes mais ne fout rien. Elle devrait avoir au moins deux points de plus avec un peu de travail. 17 donc. Moi qui n’ai jamais rien compris à cette matière, je ne trouve aucune question intelligente à poser. Alors nous parlons des envies de la lutine et de son tempérament artiste. Ca a l’air de bien colle entre eux, et c’est le premier prof qui semble surpris quand je parle de bavardages. Avec lui elle s’intéresse et écoute. Je veux bien le croire car je ne l’ai jamais vue bûcher cette matière.
Face au prof de Français, je comprends qu’il n’a pas pris la lutine en grippe, et que s’il vient de lui donner une colle, c’est surtout à cause de ses bavardage incessants. Il l’a déplacée au fond à côté d’un garçon qui ne parle pas. Et elle à chaque cours elle se remet à côté de la copine bavarde. Quand je lui demande pourquoi, devant le prof, elle répond : « Ben je tente !!! ». Et lui il colle et il a bien raison. Là aussi les résultats sont complètement gâchés par les bavardages.
Je termine à 20h 30 par la prof d’arts plastiques, qui n’a plus personne et qui paraît-il me plaira. Je précise à la lutine que je ne suis venue ni chercher un mari, ni de nouveaux amis. Ok elle est géniale, très intéressante et nous discutons jusqu’à 21 heures. Avec elle la lutine n’est pas bavarde car elle est trop occupée à écouter et suivre les consignes. Elle a un bon sens des perspectives et des espaces. Je me permets avec elle d’exprimer mon doute quant aux désirs de la lutine de devenir avocate ou de travailler dans le sanitaire et social. Je ne suis pas certaine que cela lui corresponde vraiment. Je lui raconte qu’elle a longtemps dit vouloir être comédienne et que comme elle le dit « On lui a cassé son rêve » Merci Ken, Merci Barbie et tous ceux qui lui ont ri au nez. Bien sûr c’est une idée plus qu’incertaine, mais laissons rêver nos enfants ! Je dois dire que quand la lutine qui frémit à la moindre injustice, a parlé de devenir avocat, Ken et Barbie ont dit que ce n’était pas avec ces notes que…. Même attitude d’une prof l’an dernier.
La prof d’arts plastiques a le même discours que moi. Ton avenir est à toi, personne ne peut décider pour toi.
Fin de la première réunion. Je dois tout de même essayer d’obtenir de la lutine qu’elle arrête ses bavardages. Je dois lui faire comprendre qu’elle va gâcher un potentiel précieux, dont elle n’a pas conscience.

Si toi qui lis, tu es prof. Petit message perso :

Fille d’enseignant, amie d’enseignants, je sais à quel point ce métier est difficile.
 Je te plains de devoir affronter tous les jours des dizaines d’ados en crise. Je te plains de devoir te transformer plus souvent en flic qu’en poète. Je ne t’envie pas. A ta place je serais déjà complètement folle.
Mais aussi je veux te dire que quand tu as face à toi des parents, tu n’as pas des élèves. Tu as des parents avec un cerveau, tu peux leur parler d’égal à égal, qu’ils soient chômeurs, sans-papiers, médecins ou diplomates. Tu as un savoir, mais tu n’es pas le savoir. Ton métier est de transmettre avec pédagogie, et si tu le peux, essai d’entendre le discours d’un parent inquiet. En classe tu es le maître, tu dois te faire entendre et respecter, mais face à nous les parents tu peux aussi descendre de l’estrade pour venir vers nous.  Et même pour ça je ne t’envie pas, car je ne suis pas certaine que je saurais le faire.




5 commentaires:

  1. ah, les réunions parents-profs...!!! tu sais quoi, au collège, la Princesse avait un prof de maths beau comme plusiseurs dieux (et encore, je me modère, là), toutes les mamans faisaient la queue pour le voir, et pourtant d'habitude, les profs de maths.....

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  2. Ah j'adôôôôre, la vidéo est parfaite !...
    J'ai vécu cela comme parent, mari d’enseignante et père d’enseignante... Bref il n'y a que moi qui y ait échappé. Moi ce sont les séances de dédicaces c'est plus valorisant...

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  3. Savoureux, votre texte.
    Le prof de passage, que je suis, vous remercie pour la dernière partie ;.)
    gballand

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  4. Mmm, j'ai souvent eu l'impression de recevoir des parents qui me prenaient de haut en fait... Et d'autres, tellement en demande qu'il était difficile de se sentir d'égal à égal.

    Mais je ne crois pas m'être jamais sentie sur l'estrade ni m'être jamais prise pour "le savoir" (en voilà une idée !)

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  5. Moi je l'ai ressenti plusieurs fois, ça dépend peut être des lieux où l'on vit.
    Avec deux enfants passés par de filières pour les enfants en échec scolaire, j'ai plusieurs fois eu l'impression que les profs s'adressaient à des idiots.
    Je ne généralise pas.
    Mon fils a été "sauvé" par une prof géniale que je n'oublierai jamais.

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