dimanche 31 juillet 2011

Parce que je l'ai retrouvée, je peux en parler...

Un lendemain.
Un lendemain d’une journée qui ne ressemble à aucune autre jamais vécue.
On en dans un choc, dans l’impression qu’on est dans la non maîtrise de ce que l’on vit.
On se retrouve comme si l’on avait reçu un coup en pleine figure. Presque assommé, mais forcé de rester éveillé. Garder les yeux ouverts, l’esprit à tous les détails, le corps aussi en éveil. Etre la à 100 pour 100. Mais savoir que peut-être tout est déjà joué et qu’ailleurs, pas très loin peut-être, il n’y a plus rien à faire…
Pour nous tout s’est bien terminé, encore que j’ai du mal à parler de terminé.
Mais je pense aussi à toutes ces autres personnes qui ont vécu le pire après ce pire là…. Je n’ose imaginer l’inimaginable…. Et la vie d’après ça …
J’avais raconté la semaine de la gazelle si mal commencée. Ma culpabilité d’avoir tenté de gérer de loin sa douleur, ses colères et sa rupture violente avec celui qui n’est plus « soncoeursonamour ». Je connais ma fille. Je savais que si elle avait voulu que je vienne elle l’aurait exprimé. Mais le doute restait en moi. Et puis il y avait cette dernière semaine de travail. Cette mission que je devais mener à son terme. Je connais ma fille et je savais que si j’étais revenue à Bordeaux, je ne pourrais pas la convaincre de venir chez moi si elle ne le désirait pas, que depuis des années elle refuse de voir un psy et qu’elle n’accepterait pas plus après ce qui s’était passé lundi soir. J’avais tourné ça dans ma tête des heures. Il me semblait avoir pris la mesure de la situation et je décidais de rester à Angoulème pour travailler tout en gardant le contact avec la gazelle sans l’étouffer. Mon affaire et mon souci étaient de doser entre la présence, et le harcèlement. Je la connais et je sais à quel point très vite avec elle, le trop peut provoquer la colère et la rupture. C ‘est tout ce qui a tourné dans ma tête pendant mes heures de travail.
J’avais demandé à ma gazelle de prendre les clefs de chez moi. Elle avait juste à aller les chercher chez la copine nanthropo. Tous les jours elle a trouvé une raison de ne pas le faire.
C’est ce qui m’a décidée à rentrer jeudi soir.
Le boulot était terminé ou presque. Je ne pouvais pas faire beaucoup plus que ce que j’avais déjà fait en travaillant plus de 10 heures par jour. J’ai pris soin de ranger, nettoyer mon espace de travail, de ne rien laisser traîner avant de partir. Voulant partir vers 16 heures, je n’ai réussi à quitter Angoulème qu’à 18 heures et embouteillages aidant, j’étais à Bordeaux à 21 heures. Pressé de me retrouver chez moi, mais avec l’irrépressible besoin de faire un détour par chez la gazelle, pour la voir, et l’embrasser.
Elle était cloitrée dans la pénombre, regardant un film, entourée de ses chats. Il n’en reste plus que quatre. Elle n’a pas voulu me suivre me disant encore une fois qu’elle viendrait le lendemain chez moi. Elle attendait un appel pour du travail. Son arcade sourcilière aurait bien mérité un point de suture et son œil était encore un peu bleu.
Je l’ai trouvé amaigrie. Elle m’a certifié 48 kilos, j’aurais parié pour juste un peu plus de 40. Il ne lui reste que les muscles et les larges épaules de gymnase pro. Toute trace de féminité gommée par un jogging noir et un bonnet cachant ses cheveux courts. A cette image se superpose celle de la petite fille en robe Jacadi ou Catimini, coquette et soucieuse de plaire. Il y a tout juste un peu plus de dix ans…
Nous nous quittons vite car je ne veux pas trop l’ennuyer puisqu’elle semble aller assez bien. Il faudra y aller très doucement pour lui faire accepter de partir.
Je résiste tout le vendredi à l’envie de l’appeler. Vendredi soir un sms pour prendre des nouvelles. Elle dit aller bien. Toujours en attente de la réponse pour le boulot. Elle me demande comment on s’inscrit sur Meetic et si c’est gratuit. Elle veut chatter. Je me couche en espérant qu’elle ne s’aventurera pas dans un rendez-vous sans précautions. Ca me fait un peu peur….
Samedi matin. Réveillée par le plombier que j’avais zappé à 9 heures, et qui vient refaire les joints de l’évier. Obligée de me lever. Mon téléphone marque deux appels en absence de l’ex de la Gazelle. Un message me demandant si Maria est chez moi car elle n’est pas à l’appart et elle a laissé un mot inquiétant sur la porte. Je rappelle aussitôt. Elle a quitté l’appart. Elle a collé une lettre sur la porte adressée à J. :
« ….quand tu arriveras ici je serai à la morgue, car je serai passée sous une voiture ou je flotterai sur la Garonne, morte… Laisse la porte de ma chambre fermée pour que la petite chatte ne se fasse pas attaquer par les grands. »
La c’est comme une chute dans le vide, comme un tourbillon qui vous saisit. Comme l’impression d’être happé par une histoire que l’on ne maîtrise pas l’envie d’agir en sachant que peut-être tout est fini. Et aussi l’envie de ne pas croire au pire de s’accrocher à l’idée que d’ici quelques heures, minutes ou jours tout reviendra comme avant. Que le rêve éveillé se terminera dans la joie. En quelques minutes on a l’impression que l’on doit parler de quelqu’un au passé, que les sourires, les embrassades, les projets, tout ça c’est terminé, qu’on n’aura plus que des souvenirs de sourires, d’embrassades et de projets. Mais on refuse cela.
On appelle des amis, de la famille, on pleure déjà. On veut vite partir pour agir, chercher, bouger, faire avancer vers où on ne sait pas. On veut que le temps avance.
J’appelle la Gazelle, d’abord. Messagerie aussitôt. Je lui envoie un sms aussi.
Puis la police. C’est ça ce qu’il faut faire. On me renvoie au commissariat central. Je raconte pour la quatrième fois déjà ce qu’il se passe. Frérot m’a proposé de me rejoindre chez moi. Mais il est trop long me semble-t-il… Je pars en lui laissant un message de me rejoindre au commissariat. Soeurette m’envoie des messages pour me demander si j’ai pensé à un tas de détails, comme la faire localiser avec son téléphone, sa carte bleue. Elle aussi cherche et s’angoisse. Je sais qu’elle a déjà appelé sœur fâchée qui doit elle aussi angoisser. Son mari tente aussi de son côté de joindre la gazelle. Je sais que malgré tout ils sont attachés à mes enfants.
Pendant ce temps j’ai encore raconté l’histoire à l’accueil du commissariat. J. doit me rejoindre avec le mot laissé et des photos récentes.
Je pleure à chaudes larmes. Je ne pense qu’à elle. Je tiens la photo que J. a portée et je regarde la gazelle dans son bain, couverte de shampooing, et tirant la langue. Joyeuse. Ca me fend le cœur de la regarder. Je lis la lettre. C’est bien son écriture. Car un doute m’avait effleurée. J. m’a appelée depuis chez ses voisins. Il semblait calme. Il était arrivé chez lui vers 8 heures il m’a appelé à 9. Il a pris son temps pour me rejoindre au commissariat. Et puis, J. a passé trois mois en prison pour avoir frappé un flic. J. a fracturé devant TDC 3 la patte du petit chat en le frappant, parce qu’il était descendu de la mezzanine quand il vivait chez nous. J. a passé des heures en garde à vu pour bagarre. J. est passé au tribunal pour avoir agressé un automobiliste et lui avoir donné un coup et ouvert la pommette, juste paraît-il il ne pensait pas que sa montre allait le blesser. J. n’en est pas à sa première bagarre. J. Est poli et charmant, mais je sais aussi qu’il est violent et menteur…. Il pourrait aussi savoir plus de choses qu’il n’en dit. Il arrive en short et débardeur car il se préparait à aller surfer tout le samedi. Il me précise qu’il a mis de la cire sur la porte en partant au cas où la gazelle reviendrait. Si c’était le moment j’éclaterais de rire !!! Les Experts, c’est à la télé J. !!!!!
Je rentre en salle 3. Ordinateur, bureau, policier. Je dois décrire ma fille. Sa taille son poids sa couleur de peau de cheveux, les piercings, les tatouages. Tellement douloureux et effrayant de faire ça. Je raconte à nouveau tout ce qui s’est passé depuis lundi et même avant… bien avant. Je n’ai pas envie de faire la liste du passif de J. Ca ne m’intéresse pas. Je veux retrouver a fille où qu’elle soit.
J. est parti avec deux policiers à l’appart. Dans la salle d’attente frérot attend. Il est là. Je ne veux pas lui infliger le récit et je suis entrée seule dans la salle de déposition. Il est angoissé lui aussi. Je lui propose de rentrer chez lui car il est comme moi, il ne peut rien faire qu’attendre.
C’est vrai que ce n’est pas un film. C’est ma vie. C’est ma douleur.
Je précise que j’ai eu Ken en vacances en Bretagne et prévenu lui par J. Il attend des nouvelles, mais il paraît que la Bretagne ne capte pas !!! Il est sur répondeur. Bref…. De toutes manières nos points de vus sont si opposés que je suis mieux seule.
Les heures passent et je raconte encore et encore, le policier va et vient entre les bureaux pour voir l’avancement des recherches. Il est patient avec moi, car je voudrais ne rien oublier des détails et je les donne en vrac, comme ils me reviennent. Je voudrais le voir revenir souriant, très vite….
J. est revenu de chez lui, et il est interrogé. Nous nous sommes croisés et il m’a parlé d’un message reçu à 3 heures, d’un appel à 23 heures de la gazelle qui cherchait une sacoche pour ranger ses papiers médicaux et d’identité car elle voulait aller à l’hôpital…. Puis il me dit qu’elle peut être chez un de ses ex. Il me dit qu’elle l’a fait « cocu » avec des collègues de boulot… Qu’elle l’a déjà mordu plusieurs fois. Il me montre des traces. Tout cela est certainement vrai. Mais je lui dis que je m’en fous que mon souci c’est ma fille. Que je ne suis pas là pour le défendre, qu’il des parents et que c’est leur rôle à eux. Moi, mon rôle c’est d’aider celle qui est MA fille. Je lui propose de ne plus nous voir. Il veut me faire la bise pour me dire au revoir. Je lui souhaite d’être heureux. Et je lui dis que nous n’avons plus à nous croiser. Le policier lui demande de quitter le commissariat. Il a fait sa déposition. Tout le monde a bien compris que son souci était de partir le plus vite possible surfer… Chacun ses soucis.
Je préfère d’ailleurs le savoir loin.
Il est 13 heures quand un policier vient me demander si le 219 route de Toulouse me dit quelque chose. Son portable a été localisé là-bas. Je pense tout de suite à une clinique. Puis je crois me souvenir qu’un de ses ex habite dans ce secteur. C’est la ville de banlieue dans laquelle elle a le plus traîné ado. Pendant de longues minutes j’attends seule. On a juste localisé le portable.
Le policier qui s’est occupé de moi revient en me disant qu’il a une bonne nouvelle…
Le 219 est l’adresse des urgences de l’hôpital militaire qu’elle connaît bien pour y avoir été transportée deux fois.
Deux policiers partent donc là-bas. Pour voir si seul le téléphone y est ou s’ils la trouvent. Je demande si elle y est vivante. Mais on me répond que personne ne sait.
Le temps est long et angoissant.
J’apprends enfin qu’elle est vraiment là-bas. Aux urgences. Elle est en attente d’un scanner de la tête. Elle est vivante. Je souffle et je pleure. Comme rassurée. Je ne vois que ça. La vie de ma fille. Elle est toujours avec nous. Je vais pouvoir à nouveau la serrer dans mes bras. Je réalise rapidement que vivante ne veut pas dire sauvée. Un scanner de la tête n’est pas forcément bon signe. A-t-elle été blessée par quelqu’un, renversée par une voiture ??? Que de questions, d’idées terribles… mais la vie encore là…
Puis, on m’annonce qu’elle attend les résultats pour être ramenée au commissariat par les policiers. Je sais donc qu’elle est sauvée. Elle vit. Elle marche. Elle a eu son scanner et bientôt je vais la serrer contre moi et pleurer de soulagement.
Je rassure famille et amis.
Et j’attends encore et encore.
Puis je la vois, sortie du fond d’un ascenseur encadrée des policiers. Petite et courbée. Toute en noir avec son bonnet. Je la rejoins pour la serrer et l’embrasser. Elle repart encore une fois pour sa déposition à elle. Encore attendre son retour… Et enfin l’avoir de nouveau avec moi. Et parler de tout ça. Je ne dois pas parler trop, trop tôt, je dois dire juste l’amour et le soulagement.
Je suis comme assommée après un match de boxe.
Je suis prostrée.
Elle est volubile. Elle est avec moi. Elle parle de ses chats. De J.. Du boulot qu’elle cherche…..

3 commentaires:

  1. Je viens de lire, je soupire de soulagement et puis je me dis qu'il va te falloir marcher sur des oeufs et l'obliger à se faire suivre...

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  2. C'est bien le souci premier, lui faire accepter de voir un psy. Et aussi accepter de quitter so n logemetn pour s'installer loin de ce garçon.

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  3. Je pense à vous très fort. De loin, via le net, mais très fort. Et je t'envoie un max d'ondes positives...

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