samedi 7 mai 2011

Bamako-Bordeaux, 16 ans.

Pendant que leur grande sœur fait la vaisselle, et oublie qu’elle avait choisi de vivre en s’occupant des chevaux qu’elle aimait plus que tout, la lutine et le nounours mènent encore leur vie de collégiens.


Les relations sont plus que tendues en ce moment avec le nounours. Il a grandi sans que je m’en aperçoive. Il me dépasse de 20 bons centimètres je crois. Son envie d’être homme lui crève la peau.

16 ans, déjà et seulement.

16 ans et l’envie des filles, toutes. 16 ans et l’envie de continuer d’aller en cours et pas d’aller en apprentissage, ce qui l’obligerait à entrer dans les règles de la vie professionnelle. 16 ans et la soif de coca, la faim de Nutella et de hamburgers. 16 ans et des passages en courant d’air et pour dormir et manger à la maison, entre les cours, les copains et le foot.

16 ans et maman qui prête son portable quand il n’ya plus de forfait, qui rajouter des euros et des euros à l’argent du mois, qui fournit des préservatifs, qui va chercher au foot, amener au collège quand le bus est raté, ou qui téléphone au collège pour dire que le bus est raté.

16 ans mais le désir d’être adulte libre. 16 ans et la certitude qu’étant le seul mâle de la maison on en est le chef. Que dépasser la taille de sa mère permet de n’obéir à rien. Qu’une grosse voix basse qui hurle sur une petite voix de soprano a forcément raison. 16 ans et l’envie d’en avoir 18 pour partir et ne jamais revenir et le dire.

Chaque soir, nous nous croisons quelques minutes et chaque soir nous finissons par nous disputer comme si nous nous détestions alors que nous savons parfaitement que nous nous aimons. La violence qu’il faut sortir de soi ou parfois ne pas laisser sortir dans ces moments là m’épuise et me désole. Je suis l’adulte et je le sais, je dois donc faire attention à tout ce que je dis. Il ne faut pas dire l’irréparable. Il faut résister pour ne pas se laisser aller à frapper. Car parfois l’envie est là, ou plutôt on ne sait tellement plus quel mot fera mouche. Le nounours lui n’est pas un adulte, il laisse donc sortir de lui tous les mots qui lui passent dans la tête. Toute le mal être et l’injustice d’avoir 16 ans… Mais je sais qu’il est assez peureux et que son amour pour moi ne le conduira pas plus loin. Je suis celle qui le connais le mieux. Je sais qu’il se sent fort parce que grand. Alors, cette semaine, je l’ai forcé à s’asseoir, à me regarder dans les yeux, droit dans les yeux, et à répéter tout ce qu’il venait de m’envoyer à la figure sans me regarder et debout. Assis et en face c’est nettement moins aisé. On redevient un petit garçon. Je ne sais ce que m’aurait dit la grande Françoise, elle m’aurait peut-être trouvée castratrice, ou humiliante.

Ces moments là m’épuisent, souvent ils me laissent en larmes. C’est mon échec, qui me saute à la gorge. L’incapacité à m’imposer comme l’adulte. Ou plutôt la difficulté. Car à la fin, le nounours obéit. Il revient vers moi pour faire son mea culpa, il promet de ne plus recommencer, de faire attention. Le lendemain tout recommence. Je sais parfaitement que la voix ou la présence d’un homme aurait évité tout cela. Ce n’est pas le cas. Je dois me débrouiller seule. Parfois j’appelle frérot au secours, il gronde, calmement. Le nounours écoute, bredouille, et promet d’être sage. Il m’en veut d’avoir recours à cette solution-là.

Il y a sûrement des femmes à poigne, plus fortes, plus autoritaires qui n’auraient besoin ni de crier, ni de se battre, ni de menacer d’internat. Je n’en suis pas c’est évident.

En ce moment, le nounours parle de cette France qu’il trouve merdique, de cette Afrique où il aurait été mieux, il regarde la photo de cette femme qui le tient dans ses bras dans un rue sale de Bamako et il dit à ses amis « c’est ma grand-mère » et à côté « c’est ma mère ». Alors qu’il sait parfaitement que c’est faux. Cette femme est peut-être sa grand-mère mais l’autre n’est pas sa mère. Mon ex dit qu’une autre jeune fille pleurait dans un coin, quand il est allé dans cette rue, et il pense que c’était elle la mère. L’orphelinat l’avait confié à ces femmes en attendant que nous venions le chercher. Ca fait de la place dans les lits, et en plus ces familles réclament de l’argent quand les parents adoptifs viennent chercher les bébés chez eux. Bref, je ne sais pas à quoi joue le nounours en disant tout ça.

Il va falloir que je prenne rendez-vous chez un psy. Pour lui, pour moi, pour la lutine. Histoire de faire parler les cœurs et les rancœurs. Chacun des tdc me voudrait uniquement pour lui. Là me semble être le nœud du problème. La gazelle, le nounours et la lutine, aimeraient avoir l’exclusivité de leur mère. Chacun de mes mots, de mes regards de mes actes, est jaugé et jugé, comme une mesure de l’amour que je leur porte. Et il l’est en effet. Mais chaque mot, chaque regard, chaque acte est différent pour chacun de mes enfants. Il ne le voient pas ainsi. Qui le leur fera comprendre ?

3 commentaires:

  1. Tous les enfants sont comme les tiens, il ne suffit pas d'un père, celui de l'Ours était souvent en voyage, il faut juste attendre en évitant de se faire dévorer. Tes deux grands ont en plus à gérer l'adoption et la couleur qui ne plait pas dans cette France que je n'aime pas trop...

    RépondreSupprimer
  2. J'en parle justement dans la note suivante. Bise à toi à ta merveille et à tous tes adultes.

    RépondreSupprimer
  3. Même sans adoption, couleur de peau et avec le père à la maison les relations mère/fils peuvent être houleuses. A 16 ans, dans ce corps encore trop grand pour eux, beaucoup ne supportent plus l'autorité.

    RépondreSupprimer