dimanche 8 septembre 2013

Chagrin d'écoles


Je n’ai jamais été aussi heureuse d’acheter des fournitures scolaires que cette année. Jamais agenda, crayon, équerre ne me parut source d’autant de joie. Jamais je n’ai autant souhaité voir venir une rentrée des classes.
Ma gazelle a quitté les bancs de l’école avec un diplôme de palefrenier dont elle ne s’est jamais servie. Pour elle les cours sont un souvenir lointain. Elle aura connu l’école de la vie dans laquelle elle avance avec toute la volonté dont elle a toujours fait preuve. Je me souviens de cette petite pile électrique montée sur ressorts qui promenait sa couette de cheveux en tire-bouchons dans la cour de la petite école de notre village. Cette petite fille à la peau caramel au regard noir qui mettait une jupe qui tourne sur un pantalon de jogging, se chaussait de bottes de pluie fleuries, et voulait devenir Mary Poppins ou vivre dans le Fort Boyard. J’ai toujours eu confiance en ses capacités de vivre et de mener sa vie. A sa manière. Aujourd’hui, elle travaille dans une cuisine de brasserie d’une place bobo bordelaise, et ses patrons l’ont vite sortie de la plonge de peur qu’elle n’use les assiettes et les couverts tant elle met de force et d’ardeur dans tout ce qu’elle fait. Elle est maintenant commis en cuisine et on lui a proposé de diriger l’équipe, chose qu’elle a refusée car elle veut apprendre un peu plus. Elle s’en sortira je le sais.
Son frère le nounours qui se prend pour un ours féroce n’a pas fait son entrée à l’école avec autant de plaisir. Tous les jours il pleurait et s’accrochait à moi, ce qu’il faisait déjà quand je le laissais à la crèche. Heureusement dans la petite école qui avait vu passer sa sœur tout le monde le connaissait déjà, tout le monde savait son histoire et les maitresses avaient vécu avec nous l’attente de son arrivée, sa santé si fragile les premiers mois, elles s’étaient réjouies avec émotion de voir le visage au regard perdu, se parer d’un sourire à fossettes et d’un regard plein de joie, de tendresse et de gourmandise. Elles lui ont permis de devenir ce petit garçon aimé de tous, invité chez tous. Dans notre campagne bordelaise bon chic bon genre, pas toujours des plus ouvertes à tous, il avait su charmer les mamans de ses copains, et j’ai du souvent emprunter des allées de maisons bourgeoises ou de châteaux, pour le conduire à des anniversaires ou des soirées pyjama. Ce temps est loin. Le passage dans une classe dont je dus le sortir en catastrophe pour le libérer des griffes d’une enseignante cruelle et raciste, à la fin du premier trimestre, a rapidement fait de ce petite enfant souriant un petit garçon blessé et assailli de doutes. Son arrivée en primaire a du être aussi douloureuse. Il était le seul enfant noir de l’école et il a dû faire face à des incompréhensions et des moqueries. Il a fini armé de son sourire et de sa joie de vivre, par s’entourer d’un groupe d’amis qu’il gardés très longtemps. Mais sa scolarité fut un long et difficile chemin. Il n’était pas doué pour lire, pas doué pour compter, pas doué pour étudier. Il fallait lui trouver un autre chemin. Fâché avec l’école, les profs, il a vite trouvé dans les classes qu’il a fréquentées par la suite, les amis qui n’en sont pas, les sécheurs de cours, les perturbateurs, les insupportables, ceux que les profs ont envie de voir ailleurs que dans leur classe. Fin de la scolarité. Plus d’un an déjà. La semaine dernière, son père qui lui avait offert une chance, l’a viré sans autre forme de procès. Le voilà donc sur la route du pôle emploi. Il me berce souvent de paroles évoquant des projets(il dit des plans) qu’il ne met pas en place, d’emplois qu’on lui aurait promis, de départs à New York, au Maroc, tout à l’heure à Biarritz. Dois-je le laisser aller au bout de ses « conneries » pour lui permettre de grandir ?
Et la lutine dans tout ce magma ? Ben voilà…. elle aussi réussit parfaitement dans sa mission d’enfant terrible. D’une autre manière, mais avec une efficacité indéniable. L’an dernier après une troisième vécue en touriste elle me fit la surprise d’avoir son brevet des collèges mais aussi de redoubler sa troisième. La connerie du siècle que j’ai validée avec enthousiasme quand la principale nous l’a proposé. Cette année fut une année pleine de joie, de copines, d’invitations, mais aussi de mauvaises notes, d’observations dans le carnet, d’absences injustifiées… Et surtout d’une orientation catastrophique. Refusées dans tous ses vœux de création visuelle de photo et d’arts du spectacle, on lui proposa le pressing, l’usinage, et la gestion. La aussi elle fut refusée partout. Au soir du 9 juillet il ne restait plus rien qu’à attendre la dernière semaine d’août pour trouver une solution. Nous avons cherché un apprentissage de joaillier, un apprentissage de photographe, en vain, aucun patron n’accepte de former une jeune fille de 15 ans. Un énorme point d’interrogation est resté suspendu au-dessus de nos têtes tout l’été. Le 26, à 15 heures, dans le bureau de la directrice d’une école privée bordelaise, le souffle court, les mains moites nous avons concentré tout notre espoir, toute notre pouvoir de conviction pour faire accepter à la proviseure une 31 ème élève en seconde SPVL (Pour faire bref c’est du social branché humanitaire). Et on a gagné.
Entre larmes et cris de joie, en sortant du bureau, délestée des frais d’inscription, j’ai serré la main de la lutine espérant que cette épreuve lui servirait de leçon.
Allez chez Carrouf chercher un agenda, une trousse, et des copies double m’a semblé être un privilège. Nous avions frisé la cata. Elle a frisé la cata. Elle a une chance entre les mains. Je ne la laisserai pas la gâter. Malgré tout comme pour sa sœur j’ai confiance dans ses capacités à trouver sa voie et à faire de sa vie une belle vie.
Pour le nousnours, les doutes restent présents, je voudrais croire que son chemin est nécessaire et qu’il le mène quelquepart où il sera heureux. C’est tout ce que je demande.

1 commentaire:

  1. Eh oui, c'est compliqué les enfants. Nous n'avons qu'un garçon, mais lui aussi a une scolarité chaotique, faite de quelques hauts et de beaucoup de bas. Tous les ans quand l'école reprend, ce sont les soucis qui reviennent, son rejet est tellement fort que c'est à chaque fois un combat. Heureusement, en grandissant il commence à comprendre que son salut passe aussi un peu par là.
    Bon courage !

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