lundi 21 février 2011

Blanche et Laurence, histoires inépuisables...

Ma mamie blanche écrivait elle aussi. Elle avait un petit cahier d’écolière orange. Elle m’en avait parlé un jour en secret. Elle ne voulait pas que ses enfants à elle en connaissent l’existence, car elle avait peur qu’ils se moquent. Je ne sais pourquoi elle m’en avait parlé à moi. Puis un jour elle l’a dit à mes autres cousins et cousines et j’ai été plus légère de ne plus porter ce secret seule. Je n’aime pas trop les secrets. Les parents ont tous fini par apprendre que leur mère écrivait des poèmes, mais personne ne s’est moqué.


Elle y parlait de l’hiver qu’elle détestait et du printemps qu’elle attendait tous les ans comme une renaissance. Elle y parlait de nous ses petits-enfants, et aussi d’amour, de rêves de vie plus belle, plus romantique, et d’émotions secrètes… Quand mamie blanche est morte, je savais où elle cachait le cahier, et j’ai demandé à le garder. Depuis il est avec moi. Je l’ouvre parfois. Et je me dis que ma mamie Blanche n’avait sûrement pas la vie qu’elle aurait aimée avoir, et que son Daniel, n’a pas dû la rendre très heureuse… Mais elle le cachait bien, car elle souriait tout le temps, et elle chantonnait de sa petite voix haut perchée toute la journée, en préparant des petits plats délicats, délicieux, et que j’adorais. Il y aurait beaucoup à raconter de Mamie Blanche, et aussi de Mamie Laurence mon autre Mamie. Elles étaient totalement opposées. En tout point. Milieu social, goûts, comportements, habillement, coiffure, tout tout tout les différenciait.

Mais curieusement, elles avaient des métiers, car oui elles avaient des métiers mes mamies, proches l’un de l’autre. Mamie Blanche avait appris le métier de secrétaire chez Pigier à Bayonne, mais elle avait fini par ouvrir un atelier de modiste dans l’ancien atelier de tailleur de son père, mort à la guerre de 14. Elle avait grandi avec sa maman et sa sœur, et porté le deuil presque toute sa jeunesse, alors elle détestait que l’on s’habile en noir. Elle portait des twin-sets, des petits chapeaux légers, elle mettait des gants pour sortir, et aller à l’église. Elle priait beaucoup, et écoutait de la musique classique dans son salon, les yeux fermés. Elle était bavarde comme une pie, ce que ne supportait pas papi Daniel, qui était un vrai taiseux.

Mamie Laurence, elle était une couturière, elle avait fait son apprentissage à Biarritz chez Molyneux, puis elle était partie à Paris et à Monte-Carlo, petite main dans de grands ateliers de haute couture. Elle avait grandi dans une famille de charpentiers du pays basque, avec des tas de frères et de sœurs, elle en avait perdu certains très jeunes. Elle avait rencontré à Paris un landais, Jean-Baptiste, qui avait perdu un bras à 17 ans à la guerre de 14. Tous les deux étaient donc revenus au pays landais, où Mamie Laurence cousait pour toutes les élégantes de Biarritz Hossegor et Bayonne avec sa sœur Jeanette qui elle aussi avait suivi la même voix. Elle riait beaucoup elle aussi, même si Jean-Baptiste l’avait laissée veuve avant la cinquantaine. Elle chantait aussi beaucoup, mais pas les mêmes airs que Mamie Blanche. Elle ne priait pas non plus, car elle ne croyait pas, en tout cas elle ne savait plus. Elle était étourdi, bordélique, décoiffée, pas très forte en ménage, cuisinait bien mais nature. Elle avait des chats, des chiens, un solex, des bonnets de laine, et elle élevait des enfants de l’assistance, des orphelins, des enfants battus, des enfants violés, des enfants de riches aussi qui n’avaient pas le temps de s’en occuper…

Mes parents, Pierrot de la lune et Mamamia adoraient leurs belles-mères respectives. Surtout Mamamia, qui riait beaucoup avec Mamie Laurence.

Mais Pierrot de la Lune était toujours un peu maladroit avec les tasses en porcelaine de Chine de Mamie Blanche, il s’ennuyait un peu dans sa maison propre, sans poussière et calme. Heureusement il parlait rugby avec Papi.

Et quand nous allions chez Mamie Laurence, nous subissions les recommandations de Mamamia, pour ne pas manger le pâté servi à table si nous avions vu les chats trainer sur la table, pour bien verifier que nos couverts étaient propres, entre les dents des fourchettes, avant de manger. Parfois on trouvait de l’œuf sec accroché aux couverts chez Mamie Laurence alors que quand on essuyait les couverts chez mamie Blanche, la recommandation première était de bien essuyer entre les dents, pour qu’il ne reste pas d’eau… Et surtout, chez Mamie Laurence, un mot d’ordre : « ne pas aller aux toilettes de la journée ». Car mamamia, trouvait que l’hygiène n’était pas le fort de Mamie Laurence. Moi, je me faisais gronder en rentrant car je ne pouvais pas me retenir toute la journée, alors j’allais aux toilettes en apnée et un peu aussi les yeux fermés…

J’aime bien la vie de mes grands-mères, je pourrais en parler des heures. Je viens d’elle aussi et je me retrouve dans ce qu’elles aimaient.

Parfois que je me dis que tout s’explique par le vécu de ceux qui nous ont donné la vie. Une évidence. Mais leur histoire fait notre histoire. Je me trouve fantasque comme Laurence, mais littéraire comme Blanche, révoltée comme Laurence, mais délicate comme Blanche, j’aime Coluche comme Laurence mais Mozart comme Blanche.



J’aimerais écrire un livre sur Laurence et Blanche.



J’ai encore rêvé des toilettes de Mamie Laurence cette nuit…. C’est un rêve récurrent.

1 commentaire:

  1. Un rêve intéressant, sûrement, bon fermez les yeux, détendez-vous...alors ces toilettes, ça vous fait penser à quoi ?;.)

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