lundi 24 janvier 2011

Voisine perdue

Quand je dis que personne ne voit rien, personne n’entends rien, et personne ne dit rien, je ne fais pas le procès des AUTRES. Je suis dans le lot. Et je le prouve. Dans mon échoppe serrées entre deux autres échoppes, je vis ma vie, sans chauffage ni eau chaude, avec mes ados, nos cris, nos disputes et nos pleurs, nos joies aussi parfois. A ma droite, au 86, une autre échoppe, une coloc de jeunes étudiants et petits bouloteurs, des garçons des filles, un chien depuis peu, un genre de gros truc qui fait peur et qui aboie. On se dit bonjour, je leur prête des plats parfois, une fois j’ai passé un Amélie Nothomb à l’une des filles et elle l’a gardé mais je m’en fous. Je dis aussi bonjour au 84, des jeunes parents, elle assistante maternelle, lui manager au MacDo du boulevard, la vie en vélos, parfois ça sent le pétard au dessus des clôtures. Au 82, il y a le petit vieux qui nettoie sa voiture de fond en comble tous les matins, et dont la lutine dit que ça doit être un serial killer, je pense plutôt que c’est le seul « trésor » qu’il lui reste, ila un locataire au premier, qui ouvre ses fenêtre tous les matins et fait ses poids et altères devant sa fenêtre, et quand je le croise il me regarde genre beau ténébreux, « t’as vu comme mon corps est sculptural ». A partir du 80 on se dit peu bonjour, c’est le couple idéal de « lui cadre en cravate et volvo » elle je ne sais pas mais elle promène son petit toutou comme celui de Tintin tous les matins pour lui faire faire son caca dans la rue alors qu’elle a un jardin avec piscine. Elle a aussi un petit garçon et une grande fille. Lui le cadre me dit parfois bonjour, mais elle ne me connaît pas. J’ai un peu envie de lui donner des claques. Côté impair, je dis bonjour à la dame infirmière mariée avec un artiste-ermite qui a son studio d’enregistrement à la maison et qu’on voit rarement dans la rue. Elle me tutoie et c’est la seule personne sympa du coin, on a parlé vraiment deux trois fois en quatre ans parce qu’on a le même proprio. Elle est coincée entre les deux galeries d’artistes, qui nous sortent des expos et de l’évènement de la morkitue, j’en ai déjà parlé. On a aussi les mêmes proprios.


On dit que bordelais est froid, bourge et peu sociable. Certes, ici personne ne n’empiète sur le territoire de son voisin.

C’est à ma gauche que se trouve la voisine que je connais le mieux. Pas forcément sympa, mais complètement cinglées, je le savais depuis longtemps. On ne se dit pas que bonjour, on se demande aussi comment on va. J’ai même eu l’occasion de rentrer chez elle plusieurs fois. Une fois elle m’a filé un paquet de fringues importables vu qu’elle a plus de vingt ans de plus que moi et ne porte que du gris et du beige. Une autre fois un soir d’hiver elle a sonné chez moi en me demandant d’appeler le SAMU car elle pensait faire un AVC. Je l’ai gardée avec moi, et les tdc lui ont fait subir les tests d’urgence, âge taille poids date du jour président de la république, elle avait tout oublié. J’ai du aller voir comment elle s’appelait pour sa boîte à lettre pour le dire au SAMU. Elle est partie avec les pompiers et revenue le lendemain, m’a offert une énorme boîte de cannelés, et m’a dit que j’étais la seule personne gentille du quartier. Ce n’était pas un AVC mais du surmenage. Elle était anthropologue et écrivait des articles sur les tziganes, je l’ai trouvé sur internet. Elle avait aussi sur sa porte une étiquette curieuse collée à côté de son nom « Voyager dans sa tête ». Je voulais bien le croire. Ca fait quelques mois que je ne la voyais plus. La lutine me disait qu’elle espérait qu’elle n’était pas morte chez elle. Moi ça ne m’inquiétait pas vraiment car elle n’ouvrait jamais ses volets, et e sortait presque pas. Et puis vendredi soir, quand je suis sortie poser ma poubelle, tout le trottoir était jonché de sacs poubelle, de plantes de cartons de vieux meubles. On aurait dit que toute la maison était installée dans la rue. Samedi j’ai croisé l’infirmière et je lui ai demandé si elle savait ce qui se passait. Elle m’a répondu elle est placée Emmaüs est venu vider la maison hier. Déjà un ou deux SDF faisait son marché sur les décombres de cette vie. Puis j’ai vu la porte de la maison ouverte et je me suis approchée. La fille de madame B.L. est apparue avec le même regard perdu que celui de sa mère. Depuis le mois d’Aout dernier, ma voisine avait disparu. Après un séjour en HP, elle a erré paraît-il et on l’a retrouvé il y a peu, dans un foyer Emmaüs. Retour à la case HP. Elle a Alzheimer. Je n’en suis pas étonnée, car dès notre première rencontre ça m’avait effleuré l’esprit. C’était il y a quatre ans et l’AVC-surmenage m’avait un peu mis la puce à l’oreille. Elle m’avait déjà parlé de sa fille qui vit à Paris. Sa fille elle ignorait tout de l’avc-surmenage et elle est tombée de haut quand je le lui ai raconté.

Voilà, je n’aurai rien pu faire de plus, je crois. Ce matin les encombrants viendront prendre ce que n’a pas voulu Emmaüs. Fin de l’histoire. Pour moi.

Je n’ai rien vu ? Je ne peux pas l’assurer. En tout cas je ne me suis souciée de rien…

2 commentaires:

  1. Oui, je crois que nous sommes tous pareils. On ne voit que ce que l'on veut - et peut - voir. Nous ne sommes pas toujours dans l'état d'esprit d'un saint-bernard... Parfois, c'est nous qui aurions besoin d'aide et il n'y a pas toujours quelqu'un juste à côté prêt à nous aider.
    Nous faisons ce que nous pouvons avec les moyens que nous avons...
    Amicalement,
    Angèle

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  2. "aveugle il était né, et pourtant il peut voir."
    notre condition humaine...

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