dimanche 5 décembre 2010

Avant aujourd'hui

Peut-être que raconter tout ça, ça sert aussi. Pas étaler sa misère, pas chercher la pitié, mais dire, dire aussi ce que d’autres ne savent pas, ne peuvent pas, ne veulent pas ou plus. Peut-être qu’un journal, un journal sans fard, sans fierté, un journal indécent et indiscret, sans honte de rien, mais pour qui ? Pour moi, pour ceux qui passent, surtout je crois parce que quand on n’y est pas passé on n’imagine pas simplement. Ou plutôt quand on imagine on est bien loin de la vérité et de la réalité. Je ne sais pas encore si je peux si je dois si j’ose, je ne sais pas.

Au début, il y avait moi. Insouciante, gourmande, superficielle et légère comme j’aime l’emprunter à Michel Berger.
Au tout début, il y avait moi adolescente, partant en Italie ou en Angleterre, à Tunis ou à Hambourg, riche des dons de toute la famille et revenant avec deux ou trois centimes maximum, quand ma sœur a su garder quelques billets. Puis, il eut moi étudiante, gagnant ses premiers salaires en été, et filant à Bayonne le lendemain de la paye pour acheter tout ce qui me faisait plaisir. Je me souviens de ma première poudre plus qu’invisible de Dior, et de ma palette grise de Lancôme, de mon Chanel n°19, de ses petites boucles d’oreilles en or et saphir achetées dans une grande bijouterie, de mon parfum village à la pomme et aussi des cadeaux pour la famille. Je me souviens de mamamia se moquant de sa fille cigale, l’argent lui brûle les doigts comme elle le disait en oubliant pas que j’étais aussi d’après elle un cœur d’artichaut, une originale, romantique, et dans la lune... Epouse un homme riche disait-elle. L’homme n’était pas vraiment riche, plutôt vraiment pas. Mais il gagnait sa vie pendant que je bûchais, puis pendant que je cherchais du boulot. Je me souviens aussi du sac Longchamp et du portefeuille assorti, bordeaux, qui me coutèrent la totalité de mon premier chômage. Ken aimait me gâter et me couvrait de cadeaux. Travailler m’a fait prendre conscience que l’agent gagné servait aussi à manger, payer des factures, participer aux dépenses d’un ménage. Je n’aimais pas ça mais il le fallait. Ken avait dans son enfance souffert du manque de la faim du froid, de la pauvreté. Je l’appelais Balladur, car il comptait chaque franc. Ken pensait qu’avoir sa maison à soi, était nécessaire à la réalisation de la vie d’un homme. Moi pas. Mais je me pliais à ce désir. Nous ne nous comprenions que sur très peu de sujets, mais surtout pas sur celui-ci. Je me faisais gronder comme une enfant quand je dépensais trop d’argent. Mais je le faisais tout de même. Je trouvais si peux de bonheur dans cette vie avec lui, que je ne me refusais aucun petit plaisir au quotidien, pour la nourriture, pour la lecture, les vêtements, pour mes enfants, pour la décoration de ma maison. Ma mère trouvait que j’étais une femme gâtée-pourrie, avec comme elle le disait un mari en or. Vue de l’extérieur c’était vrai. En dedans, ma vie était vide, le bonheur ne me venait que de mes enfants et le plaisir ne me venait jamais de Ken. Ma seule envie était de fuir ce vide et cet homme. J’étais épouse, mère, employée au ministère, mais je n’étais plus moi. J’avais dit adieu à mon moi, quand j’avais décidé d’allier ma vie à celle de Ken. Mon moi était dans un minuscule coin de mon cerveau, fermé à double tour, ficelé, bâillonné, étouffé. Pour ne pas souffrir, je regardais mes enfants grandir heureux.
Il m’a fallu cinq longues années pour que Ken consente à divorcer. Je prenais des risques sans les mesurer. Seule avec mes trois petits, mais libérée de Ken. Une renaissance. Jamais aux pires moments de faim de froid de désespoir, jamais je n’ai regretté ma vie avec cet homme plein d’ennui. Ken lui n’avait consenti à me quitter que parce qu’il ne partait pas seul. Pour lui le risque devait toujours être calculé. Il ne serait jamais parti seul. Sa rencontre avec cette femme aussi creuse et vide que lui, a été sa chance mais surtout la mienne. J’étais libre. La liberté a un prix. Je paie le prix fort. Chaque fois que je croise Ken je mesure à quel point j’ai dû m’ennuyer. Aujourd’hui je suis, aujourd’hui je suis moi, mère, femme, raconteuse de l’histoire et des histoires, je chante, je lis, amante parfois, militante, bloggueuse, amie, confidente, fâchée, en colère, en pleurs ou en représentation, j’ai faim, j’ai froid, je galère, je vais mal, je fais bonne figure, au boulot j’oublie, chez moi, je lis, je crie, j’écris. Peut-être que dire tout cela ici, me poussera et m’obligera à m’accrocher pour repartir. Pour être moi encore, et pour mes enfants.

4 commentaires:

  1. Il y a bien sûr une Vie après la vie que vous avez eue... il vous faudra sans doute un peu de temps.

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  2. Merci MJC et anonyme de votre petit signe

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  3. je me dis que peut-être la liberté a un prix excessif… mais je préfère l'avoir, c'est mon bien le plus précieux

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