dimanche 31 octobre 2010

Ainsi vont les souvenirs

C’était une fin de mois d’octobre d’il y a dix ans, je dormais profondément ou peut-être pas tant que ça. Il était mardi, 5 heures du matin quand une main vint caresser ma joue. Je le sais car j’ai regardé le réveil sur ma table de nuit. Je me souviens que j’étais seule dans mon lit. Ken et moi depuis longtemps ne partagions plus nos nuits. Il devait beaucoup souffrir de cet exil dans les canapés du salon. J’ai senti cette main sur ma joue, passer lentement, et je suis sortie de mon sommeil. Je me levais encore troublée par cette caresse nocturne. Ken me certifia que ce n’étais pas la sienne. Je l’ai cru car il n’était pas assez délicat pour s’arrêter à une caresse sur la joue.
Quand le mardi suivant le téléphone a sonné sur ma table de nuit. Il était un peu plus de 5 heures du matin, presque 6. La voix de ma sœur. Pierrot de la lune était mort vers 5 heures. Je n’étais pas surprise, juste certaine qu’il m’avait dit adieu une semaine auparavant. Depuis il n’a quitté ni mon cœur ni mes pensées. Je parle de lui souvent, à ses petits-enfants, à mes amis, à des inconnus. Je ne peux plus dire papa, alors je l’ai baptisé Pierrot de la lune.
Bientôt, dans quelques jours, nous, ceux qui l’aimions, aurons le bonheur d’assister à la sortie du petit livre de Pierrot. Ses textes, quelques uns, offerts à tous. Ils le méritent, il le mérite. La semaine dernière, un festival lui a consacré une partie de son exposition. Une école va certainement porter son nom. Pierrot entre dans l’éternité et dans l’histoire de son pays tant aimé. Il était fier Pierrot qu’on aime ce qu’il faisait. Et je crois que nous ses enfants nous sommes aussi très fiers de ce qu’il faisait.
Celle qui était si fière de son Pierrot, c’était Mamamia. C’était une fin de mois d’octobre d’il y a quatre ans, je lui avais parlé le lundi. Comme je lui avais parlé les jours précédents. Depuis le samedi, elle semblait ailleurs, parlait d’un oiseau noir qui la regardait dans le mur de sa chambre. Elle disait qu’elle savait bien que c’était une hallucination mais que ça lui faisait peur. Quand je lui ai pris la main, quelques jours plus tard à l’hôpital, elle n’était déjà plus tout à fait là. J’ai encore dans l’oreille le bruit des appareils qui l’aidaient à vivre. Je ne sais si elle a entendu mes mots pour lui dire que nous l’aimions. Je ne sais si quand je lui ai murmuré que sa souffrance elle était trop insupportable et trop grande pour elle devait cesser. Parfois elle nous disait « si je perds la tête, tuez-moi ». Qui aurait pu le faire ? Je lui ai juste dit qu’elle pouvait partir, que nous serions si malheureux, mais que c’était elle qui décidait. Alors son cœur s’est arrêté doucement, puis son cerveau, puis le bruit des machines.
Je ne pense pas souvent à leur mort, je pense à leur vie. Je n’ai pas retenu la date exacte de leur mort, mais je connais celle de leur naissance. J’ai mis un peu de leurs cendres dans deux jolies boîtes, et je les ai rangées dans un tiroir que je n’ouvre que par hasard, mais j’ai invité tous les objets de leur quotidien à vivre dans ma vie. Il y a chez moi, des boîtes, des tasses, des cahiers, des livres, des écharpes, et tant d’autres choses, qui étaient les leurs et qui sont devenus miennes. Ainsi va la mort et ainsi va la vie.

4 commentaires:

  1. Bel hommage à vos parents mais... un peu triste quand même. On sent de la nostalgie.

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  2. Je crois pas que ce soit de la nostalgie, je ne regrette pas le passé car même si mon présent est dur, je n'aimerais pas revenir en arrière, j'aime me remémorer certains moments du passé, juste pour le plaisir d'y repenser. Dans la vie il y a des jours de tristesses et des jours de joie, les raconter fait parfois du bien.

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  3. pierrot de la lune et mamamia doivent être fiers de toi. Mes pensées vont vers toi, ma soeur de coeur...bises. corinne

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  4. Et je comprend bien ce besoin de raconter. Ce texte m'a bouleversé !

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