L’aurai-je,
ne l’aurai-je pas ce poste que je convoite ? Je le saurai début décembre.
Première quinzaine. Je le veux tellement que je l’ai demandé dans cinq endroits
différents, quitte à ne pas l’avoir chez moi. On verra bien. Je me vois mal
tout laisser à Bordeaux pour parti à Orléans, Poitiers, Nîmes ou Paris-La
Courneuve. Mais on verra au moment. En attendant, lundi 16 heures c’était le
grand oral. J’ai du mal à me préparer à ce grand cinéma qui consiste à prouver
à des supérieurs juste par une présentation de huit minutes, que l’on est
capable de faire un boulot que l’on fait depuis des années et dont tout le
monde semble dire qu’on le fait bien. Juste pace que la grande direction a
décidé d’appeler ce travail « gestionnaire de collections » au lieu
de responsable de mobilier. Pas de salaire supérieur. Pas d’échelon supérieur.
Juste quelques responsabilités en plus. Juste un peu plus de boulot. Mais je me
prête au jeu, briefée par mes collègues amis, qui me font la leçon pour que je
sois plus sûre de moi.
Pour
moi c’était facile de raconter ce que je fais tous les jours. Ce que dans notre milieu on appelle les protocoles mis en
place. De donner de mon travail quotidien une image passionnante. Moins facile
pour moi de freiner l’expression de mes colères, de ce que je considère comme
un regard erroné sur ce travail, de mes agacements quand on ne donne pas aux
objets la place qu’ils méritent dans notre mission de garder la mémoire des
hommes. J’ai tendance à partir dans de grands discours philosophico-moralisateurs
qui ont du mal à trouver une conclusion.
Vendredi,
samedi, dimanche, des heures à préparer un beau power point, pour die qui je
suis, qui j’ai été, qui je veux devenir.
A le faire et le refaire. Y’a des moments où l’on ne sent pas le truc.
On sait que ce n’est pas satisfaisant que l’on peut mieux faire. On sent le
hic. Faire un truc qui ne te ressemble pas, le genre, point a, point b, intro,
conclusion, c’est pas mon genre. Et pourtant c’est ce que je devais faire.
C’est ce que j’ai fait. Dimanche soi c’était prêt. Chronométrée, ma
présentation faisait pile poil les huit minutes requises. Lundi matin, j’étais
confiante. Même si je n’aimais pas du tout ce power point glacial. Je comptais
y mettre une petite dernière touche dans le TGV et disposais des trois heures
pour l’avoir gravé dans ma petite tête. Par chance, sur le banc de la gare que
je choisis pour attendre le train, je me posais juste à côté d’une inconnue. Je
le cus ent out cas. Mais quand j’ai sorti un bout de papier logoté
narkeotrafikants de mon sac, elle s’est tournée vers moi, et j’ai reconnu une
collègue toulousaine qui nakeotrafike les petits bouts d’animaux, une
narkeozoologue. Trop bon, elle aussi allait auditionner à la capitale. Pas pour le même poste. Point
commun à pat le logo, et la convocation, le bavardage. On a commencé à parler
sur le quai de Bordeaux et on a arrêté de parler sur le quai de
Paris-Montparnasse, n’oubliant pas de se donner rendez-vous sur le même quai le
soir. Finalement c’était mieux que de psychoter sur 500 kilomètres su
mon power point. Sauf que je le sentais de moins en moins. Rue de Rome, devant
un petit potage et une crème brûlé trop cher pour leur peu de goût, j’ai tout
repris, tout réécrit, j’ai tout changé, plus de power point , 4 pages
manuscrites avec un texte un peu mélo-philo-émouvo-historique. Je me suis gavée
de fleurs de Bach et de Rescue, de longues respirations les yeux fermés.
Quinze
heure trente, je quitte Rome (la rue) pour Madrid (la rue en face). La
respiration, commence à prendre un rythme nettement plus rapide. Quand j’arrive
dans la salle d’attente, Il y a déjà cinq personnes qui m’annoncent une bonne
heure de retard sur le planning. 4 sont a pour Poitiers, une pour Nîmes. L’une
vient de passer et raconte. Tous les autres ont la bouche aussi pâteuse que
moi, les jambes serrées, et mille questions en tête. Je me sens moins seule. Il
semble que je me dessèche sur place et ma bouche est de plus en plus sèche. En
une heure je vide deux bouteilles de Badoit. Il n’y a plus que ça au distributeur…
La
salle de torture se trouve à l’étage au dessus, je suis appelée avec une heure
et demi de retard, par téléphone. Je franchis les couloirs pour rejoindre mon
jury en essayant de ne pas perdre le sourire et en répétant que ça va le faire
que tout va bien que je ne vais pas à une exécution capitale… Patatras d’une
marche, quand je passe la porte. Ils sont dix. Alignés derrière une longue et
étroite table, et je dois m’installer de l’autre côté. Je suis à tout casser à 80 centimètres de la
présidente du jury. Elle est heureusement souriante. Pendant qu’ils se
présentent, je sens mon assurance fondre comme neige… Mes feuilles de
présentation sont devant moi, et me voilà partie… Partie c’est vraiment le mot,
car j’ai vraiment la sensation d’avoir quitté la planète. Je vois bien la
feuille, je vois bien les personnes en face de moi, j’entends ma voix mais j’ai
l’impression que je ne maîtrise rien. Je lis, je lis, je lis qui je suis, je
lis ce que j’ai fait, et j’ai bien conscience que c’est ce qu’il ne faut pas
faire. Mon cerveau multi fonction est heureusement connecté et un flash me
parvient. Pose ta feuille, pose tes lunettes, et parle !!! Parle bordel ,
tu sais parfaitement qui tu es, tu sais ce que tu fais et ce que tu veux. Alors
arrête de faire ton écolière… Je pose donc mes loupes de presbyte, pour ne plus
vois mon écriture que comme une image trouble. Je pioche quelques mots que
j’aperçois par-ci par-là comme un fil conducteur. Pour le chapitre philosophico
machin, j’annonce que je vais lire, car je tiens absolument à être fidèle aux
idées que je veux exposer. Voix tremblotante, au maximum de mon émotion, je
réussis tant bien que mal à tout lire sans tomber dans les pommes. La
présidente du jury me presse pour une conclusion, je suis entrain de dépasser
les 8 minutes. Quand je termine elle m’annonce qu’on va avoir du mal à trouver
des questions, car j’ai été très « complète ». Ne restent donc plus
que les questions vaches. J’y réponds sans me défiler, et je vois des visages
approbateurs. Sauf un puisque l’homme à ma gauche que je ne vois pas mais que
j’entends est affalé sur sa chaise, souffle sans arrêt, se prend la tête entre
les mains. Un impatient semble-t-il..C’est le directeur de la région nîmoise.
Chacun trouve sa petite question vache supplémentaire et j’essaie d’y répondre
sans m’embarquer dans de trop longues explications. Je sens de la bienveillance
dans certains regards, celui des mon directeur interrégional, celui de la
présidente du jury, celui du régisseur du Louvre, deux autres spécialistes en
restauration et conservation d’objets narkeo… Le Nîmois et la Parisienne semblent
moins conquis. La parisienne est une ancienne énarque, qui a fait un passage
éclair dans ma région il y a deux ans et qui était surnommée l’iceberg…. Elle
me demande ce que j’ai à offrir en dehors de toute cette passion. Je préfère
prendre ça comme un compliment… Le nîmois me pose une sale question sur les
archives papier issues des fouilles dont j’ai omis de parler. Bang, patatras,
je vois un petit signe de mon directeur, qui semble me dire j’ai pourtant
essayé de vous montrer le chemin…. C’était pourtant sur mon fil conducteur,
c’était dans ma tête, mais je ne suis pas allée dans ce coin là…. La demi-heure
est écoulée, on me remercie, je remercie, je sors. Dans un mois, je saurais si Nîmes
a eu ma peau avec sa question qui tue. Le reste m’a paru pas trop mal…. Sortie
vers 18 heures, train râté, arrivée à Bordeaux avec une demi-heure de retard
pour cause de chevreuil percuté.
Bilan
de la journée : Soit je me soigne contre le trac, soit je ne fais plus d’auditions.
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