Tout spécialement pour Coline, Chantal, So, pour les petits mots échangés ces derniers jours. Merci à vous. Et aussi à Caroline, qui m'a touchée avec sa note sur sa petite dernière qui quittait la maternelle la semaine dernière.
Lundi, c'était les 25 ans de ma gazelle. Je l'ai dit, déjà. Je pensais à ce jour où elle avait 6 ans et elle arrivait au CP. Un jour j'ai appris, pas par ma gazelle, par une maman d'élève que la maîtresse avait traité Maria de menteuse. Elle avait demandé où était nés les enfants. La gazelle avait répondu "à Bordeaux". Et la maîtresse lui a dit qu'elle mentait qu'elle était née en Afrique. J'ai écrit un texte pour la gazelle et je suis allée voir la maîtresse. Je le lui ai donné et lui ai demandé de le lire et Maria a souhaité qu'elle le lise à toute la classe. J'ai lu des dizaines de fois cette histoire à mes enfants, puis la lutine a fait sa crise parce qu'elle n'avait pas son histoire, alors je m'y suis collée aussi pour elle. Une autre histoire.
L’histoire de
Maria et Samuel
Dans ma
famille, nous sommes quatre. Mon père, ma mère, mon frère et moi. Ah oui,
j’oubliais, il y a le chat et le poisson, ça fait donc six. Jusque là, rien de
très original.
Mais dans notre
famille, il y a quelque chose de différent. Personne ne ressemble à personne.
Le chat ne ressemble pas au poisson, le poisson ne ressemble pas à mon frère,
mon frère ne me ressemble pas, je ne ressemble pas à ma mère, et ma mère ne
ressemble pas à mon père.
Le chat est
noir comme du charbon et ses yeux sont verts. Le poisson est rouge comme un
coquelicot et ses yeux sont noirs. Mon frère est plutôt de la couleur d’un
grain de café grillé. Moi, j’ai la couleur d’un bâton de cannelle. Ma mère est
le plus souvent blanche, sauf quand je dis des bêtises et qu’il y a du monde,
alors là, elle devient aussi rouge que le poisson. Mon père est plutôt blanc
l’hiver, et l’été il a presque la même couleur que moi.
Comment on a
fait ça ? Je vous explique. On s’est adopté. Adopter, ça veut dire qu’on a
d’abord vécu les uns sans les autres, et que dès qu’on s’est rencontré, on
était tellement bien ensemble, qu’on ne s’est plus quitté. Adopter, ça veut
dire que même si on est tous très différents les uns des autres, on peut
s’aimer très fort.
Ca a commencé
par mon papa et ma maman. Lorsqu’ils se sont rencontrés, papa a aimé que maman
soit petite, bavarde et qu’elle ne lui obéisse pas toujours. Maman a aimé que
papa aie de grands yeux marrons avec de longs cils, qu’il bouge et ronchonne
sans arrêt, et qu’il soit si tendre. Alors, ils ont décidé de rester ensemble.
Puis, ils ont pensé que ce serait bien d’avoir des enfants.
Mais il y avait
un problème avec maman. Elle n’avait pas d’ovules, ces petits trucs qui lorsqu’ils
rencontrent les spermatozoïdes du papa donnent un bébé au bout de neuf mois.
Maman était très triste, papa la consolait, il voulait avoir l’air fort, mais
il était très triste aussi. Il fallait trouver une solution à ce problème. Ce
bébé qui ne voulait pas venir dans le ventre de maman, il ne fallait plus y
penser.
Ce qui manquait
à papa et maman c’était un enfant à aimer, et après tout, on peut aimer
d’autres enfants que ceux que l’on a fabriqués. Et dans le monde, il y a des
milliers d’enfants malheureux parce qu’ils n’ont plus de parents. La plupart du
temps, ils vivent dans des sortes de pensions où ils ont été accueillis. On
s’occupe d’eux, on les fait manger, jouer et on leur fait quelques câlins de
temps en temps. Et ils grandissent ainsi sans parents. Mais ce qu’on sait,
c’est qu’un enfant, ça a besoin d’un papa et d’une maman rien que pour lui,
d’une maison avec ses jouets à lui. Un enfant a besoin d’une famille.
C’est vers ces
enfants déjà fabriqués et qui ne demandent qu’à être aimés que papa et maman
allaient se tourner. Alors ils ont écrit aux personnes qui leur trouvent des
familles pour demander qu’on leur confie un bébé. Mais ce n’est pas si simple.
Il a d’abord fallu qu’ils disent pourquoi ils voulaient accueillir un enfant,
comment ils allaient l’élever, l’aider à grandir. Ca a duré longtemps, très
longtemps…Ils ont du raconter leur histoire à des tas de personnes très
différentes. Des personnes dont le métier comme par psy…puis une assistante
sociale, comme ma tatie Lolo, est venue les voir, elle leur a posé des tas de
questions. Papa, qui n’aimait pas beaucoup l’école quand il était petit, se
sentait redevenir un élève et avait souvent peur de mal répondre. Maman, qui
elle adorait l’école, voulait toujours répondre le mieux possible et elle
parlait beaucoup, car elle voulait qu’on comprenne combien elle voulait cet
enfant.
Un jour, papa
et maman avaient enfin donné toutes les réponses et il ne restait plus qu’à
attendre.
Ce fut long,
très long…Mais ils gardaient l’espoir car ils étaient sûrs dans leur tête et
dans leur cœur que cet enfant viendrait. Alors ils préparaient des tonnes et
des tonnes d’amour pour quand il serait là.
Pendant ce
temps, ailleurs, pas très loin, je suis née. Ma maman, celle qui m’avait eu
dans son ventre, mon papa, celui avec qui elle m’avait fabriquée, ne pouvaient
pas me garder. Mais ils m’aimaient très fort, puisque je suis née. Alors ils
ont préféré que l’on me trouve un autre papa et une autre maman. Il paraît que
comme ma maman adoptive, ma maman biologique était blanche. Mon papa, lui,
était africain et noir. C’est pour ça que je suis métis.
En attendant
d’être adoptée, je suis restée dans une pouponnière. Là, il y avait d’autres
bébés comme moi. On dormait tous ensemble, on mangeait tous ensemble, et souvent
on pleurait tous ensemble. Et puis, un jour, on m’a mise dans une chambre pour
moi toute seule et on m’a dit au creux de l’oreille : « Tu as un papa et une
maman. Ils vont bientôt venir te chercher ».
Le jour de
notre rencontre, on m’avait bien habillée. J’étais installée sur mon transat
lorsqu’ils sont entrés. Ils avaient des sourires immenses et de l’amour et des
larmes plein les yeux. J’ai tout de suite compris qu’ils venaient pour moi,
alors je me suis agitée tant que j’ai pu pour le leur montrer et j’ai souri moi
aussi. C’est aussi ce jour-là que j’ai connu Misou mon nounours. C’est mon papa
qui me l’a posé sur le cœur. C’était ça le bonheur pour eux et pour moi.
Aujourd’hui,
j’ai six ans et demi. Je suis une grande fille toute fine, je n’arrête pas de
bouger, de courir, je grimpe partout et j’ai, paraît-il, un sacré caractère.
Pendant six
ans, j’ai eu mon papa et ma maman pour moi toute seule. Mais je rêvais d’avoir
un petit frère ou une petite sœur comme mes copines de l’école. Papa et maman
aussi le voulaient très fort. Cette fois-ci, on était trois à attendre. C’était
long, très long… Et puis, un jour, on nous a téléphoné pour nous dire qu’un
petit garçon nous attendait loin, très loin : au Mali. Maman et moi, nous avons
pris un globe et elle m’a montré où était mon petit frère. Elle m’a expliqué
que c’était un pays très pauvre, que là-bas les enfants ne mangeaient pas tous
à leur faim et qu’ils n’étaient pas gâtés comme ici, même si leurs parents les
aimaient très fort. Un de ces enfants allait devenir mon petit frère.
Le lendemain,
je l’ai dit à tout le monde à mon école. Papa est parti tout seul chercher le
petit frère. C’était long d’attendre…
Puis, un matin,
mes mamies, mes papis et plein d’amis et ma copine Anouk sont venus et on est
tous allé à l’aéroport. Et on a encore attendu…Maman était toute rouge et elle
semblait très impatiente. Moi aussi j’étais impatiente, mais je n’étais pas
rouge.
Quand papa est
apparu avec le bébé dans les bras, encore une fois, tous avaient des sourires
immenses et de l’amour et des larmes plein les yeux, sauf ma copine Anouk
et moi. Le bébé, lui, avait de grands yeux tristes et fatigués, et il s’est
aussitôt blotti contre maman. Il n’arrêtait pas de me regarder, et son premier
sourire a été pour moi. J’ai tout de suite su que mon frère et moi on allait
bien rigoler tous les deux.
Bien sûr, j’ai
du apprendre à partager, à faire moins de bruit, à être un peu plus raisonnable
qu’avant. C’est parfois dur d’être une grande sœur. Heureusement, l’amour d’un
papa et d’une maman ne se divise pas par le nombre d’enfants, il se multiplie.
Et ça, c’est très important.
En tout cas,
dans notre faille différente où personne ne ressemble à personne, il y a encore
de la place pour d’autres enfants. La seule chose pour laquelle maman ne se
décide pas à faire de la place, c’est un chien. Et ça, c’est quand même très
énervant…
L'histoire de la lutine
Ma maman sait
lire. Et ma maman sait aussi écrire. Elle a 5 carnets dans son grand sac rouge.
Elle a un feutre orange qu’elle perd tout le temps, alors dans ses carnets il y
a des mots de toutes les couleurs. Parfois, je lui pique son carnet et je
mets des petits dessins et des petits mots avec des « je t’aime » et des cœurs.
Mon frère aussi met des mots. On fait ça quand on veut lui demander d’aller
manger au fast-food ou à la pizzeria et qu’on ne sait pas comment lui dire.
Mais ma maman elle n’écrit pas que dans ses carnets. Elle tapote sans arrêt des
mots sur son ordinateur. Elle écrit, elle écrit, et parfois ça nous agace
beaucoup, car pendant ce temps elle ne joue pas avec nous.
Ma maman avait
écrit une fois une histoire pour mon frère et ma sœur. Mais je n’étais pas
encore née. Ca racontait une famille avec un papa, un maman une petite fille et
un petit garçon, un chat, un poisson et une maison verte. Moi, je suis venue
après. Je ne me souviens pas de la maison, parce que j’étais un bébé, quand
notre famille s’est un peu compliquée et qu’on est partis.
D’abord on a
déménagé tous ensemble avec notre Labrador et notre chat mais le poisson était
mort depuis longtemps. Mais dans cette nouvelle maison, papa et maman ne
s’asseyaient jamais plus l’un contre l’autre dans le canapé. Souvent, papa
rentrait très tard et on mangeait juste avec maman qui était très énervée.
Un jour, mon
frère, ma sœur et moi, on est partis en vacances chez papi et mamie. Quand on
est revenu le dimanche soir, on a mangé tous ensemble pour une fois. Je crois
bien qu’on mangeait de l’omelette. Et tout d’un coup maman a dit : « Il faut
qu’on vous parle ». J’espérais que ça irait vite parce que je n’aime pas
l’omelette froide. Elle a d’abord dit qu’avec papa ils nous aimaient très fort.
Et là, j’ai senti que l’omelette allait refroidir sérieusement. Papa a dit «
Pas maintenant ! ». Lui non plus il n’aime pas l’omelette froide. Maman elle
adore ça, elle la sort du frigo et elle la picore quand il en reste. Alors elle
a fait comme si elle n’entendait pas et elle a continué de parler. Elle a dit
que Papa et elle n’étaient plus des amoureux.
Elle a dit
qu’ils n’avaient pas de peine.
Elle a dit que
papa aimait une autre dame.
Elle a dit
qu’on allait divorcer.
Elle a dit
qu’on vivrait la moitié du temps avec elle et l’autre moitié avec papa et la
dame.
Elle a dit
qu’il ne fallait pas être triste, et que tout allait bien se passer.
Ma grande sœur
a pleuré et dit qu’elle n’avait plus faim.
Mon frère a
demandé si la dame était plus jeune que maman et s’il pouvait finir l’omelette
de ma grande sœur.
Moi, je crois
que j’étais trop petite et je ne sais plus si j’ai dit quelque chose.
Après, on est
allés au lit et le labrador a mangé l’omelette froide.
Le lendemain,
c’était comme avant.
Puis, un jour
on a rencontré la dame dans un restaurant et papa nous a dit que bientôt on
irait dans une nouvelle maison et qu’elle habiterait avec nous, mais sans maman
bien sûr.
Au mois
d’avril, on a commencé notre vie compliquée. Papa a pris la grande télé, un des
deux canapés jaunes, des assiettes et le labrador, maman a gardé l’autre canapé
jaune, le piano, et la grande armoire, et aussi le chat. A partir de ce jour,
on avait deux maisons, deux chambres, un papa, une maman, une belle-mère,
mais on gardait la même école et ça c’était quand même bien.
Bien sûr, tout
ça, voulait aussi dire, deux Noël, deux anniversaires, deux petites souris.
On a noté sur
un grand calendrier les jours avec maman et ceux avec papa. Parfois, on s’y
perdait un peu. Le plus dur c’était le jour où on changeait. Il fallait quitter
ou papa ou maman. On était contents de retrouver papa mais tristes de laisser
maman. Puis le dimanche suivant, on était contents de retrouver maman, mais
tristes de quitter papa. C’était un peu comme si notre cœur était déchiré en
deux.
Il fallait bien
qu’on s’habitue puisque ça ne changerait plus jamais.
Dans chaque
maison tout était très différent. Dans chaque maison, il y avait des choses
bien et des choses pas très bien.
Papa s’est marié,
et il a fait un petit frère et une petite sœur, il a acheté une nouvelle grande
maison et une très grande voiture, mais il est plus sévère qu’avant.
Maman ne veut
plus de maris, elle a parfois des amoureux mais ne nous les montre pas. Elle a
de tas d’amis qui viennent souvent avec leurs enfants. Souvent ce sont aussi
des familles compliquées comme la notre. Alors on sait qu’on n’est pas les
seuls.
Chez papa tout
est rangé. Chez maman tout est en bazar.
Chez papa on a
des pantoufles. Chez maman on marche toujours pieds nus.
Chez papa on
est très sages. Chez maman on est un peu foufous.
Parfois, quand
j’arrive de chez papa, je me trompe et j’appelle maman Clara, comme ma belle
mère… Maman fait comme si elle n’entendait pas et elle ne répond pas, mais je vois
sa bouche qui fait une drôle de grimace pas contente. Il faut dire que maman et
Clara ne sont pas vraiment très copines. Parfois elles font semblant, elles
parlent un peu de nous, de l’école, des bêtises, mais quelquefois elles
n’arrivent pas à faire semblant, et là…. Je ne vous raconte pas, parce que ça
barde et on voit vraiment qu’elles ne sont pas des copines.
Ce qui est sûr
c’est que tous ensemble, on est une famille. Même si maman et Clara ne sont pas
des copines, nous on les aime toutes les deux, et aussi notre papa, et mon
petit frère et ma petite sœur. Et puis, nous on est heureux dans notre famille
compliquée. A la télé on dit famille recomposée, et parfois aussi on parle de
famille normale. Normale ? C’est idiot, une famille normale, ça ressemble à
quoi ? L’important c’est l’amour de son papa et de sa maman, qui lui ne change
jamais.